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Plus chaudement un cœur de sa vive estincelle,
Ny qu’un parfait amant put estre plus fidelle.
Mais vos yeux m’ont appris que j’estois abusé,
M’ayant de tant de feux l’estomach[1] embrasé,
Et mis en mon esprit de pensers si grand nombre,
Que ma premiere amour au prix n’estoit qu’un ombre
Bref, je suis si pressé, qu’ores je connoy bien
Helas ! qu’au prix de vous je n’aimay jamais rien.
Vrayment c’est bien raison que l’amour qui me tuë,
Passe toute autre amour qu’auparavant j’ay euë,
Et qu’en vous adorant je croisse en loyauté,
D’autant que vos beautez passent toute beauté,
Beautez pleines de lis et de roses nouvelles,
D’agreables langueurs, de flammes immortelles,
D’amours, de doux attraits, de thresors precieux,
Et des perfections que receloient les cieux.
Car tout ce que le ciel avoit mis en reserve
De plus belle richesse, en vos yeux se conserve,
Vos yeux si beaux aux miens, qui me donnent le jour,
Et qui font qu’Amour mesme est embrasé d’amour.
Quant à moy, si je voy quelque autre damoiselle,
Qui guide en cheminant les graces avec elle,
Qui ait les cheveux beaux, les yeux cruels et doux,
Je dy qu’en quelque chose elle approche de vous,
Mais non pas que pourtant elle soit si parfaite ;
Car pour chef-d’œuvre seul nature vous a faite,
Tousjours on vous peut voir admirable exceller,
Et à vous rien que vous ne se doit égaler ;
Ainsi que la douleur qu’en mon ame j’assemble,
Qui surpassant toute autre à soy seule ressemble.
J’ay tousjours jusqu’icy blasmé l’extremité,
Mais je pers cet advis perdant ma liberté,
Car vous voyant, madame, en beautez tant extrême,
Je consens que mon cœur extrêmement vous aime ;
Je veux qu’en vous servant il souffre extrêmement
Et le desavouroy, s’il faisoit autrement.
Peut-estre quelque jour vous en serez touchée,
Et, afin que ma mort ne vous soit reprochée,
Finirez mes langueurs, aurez de moy pitié,
Et recompenserez ma fidelle amitié.
O dieux, si d’un tel heur je contente ma vie,
Ne m’accordez plus rien de chose que je prie !
On ne me verra plus d’autres biens desireux,
Et m’estimeray lors contant et bien heureux.

  1. La poitrine.