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nuisible. Au pauvre moribond, il promettait cent mille écus ; aux chirurgiens, cent mille francs s’ils le sauvaient. Mais, après avoir langui trente-trois jours, il expira sous les yeux du prince. « Il mourut, dit l’Estoile, ayant toujours en bouche ces mots, même entre ses derniers soupirs, qu’il jetait avec grande force et grand regret : — Ah ! mon roy ! mon roy ! — sans parler autrement de Dieu ni de sa mère. »

Le prince baisa les joues glacées des deux mignons, fit couper leurs blondes chevelures pour les garder ; il ôta de sa propre main les pendants d’oreille qu’il avait donnés et attachés lui-même à Quélus. On exposa leurs corps sur des lits de parade, et toute la cour eut ordre d’assister à leurs funérailles. Le prince s’enferma pendant plusieurs jours, permit qu’on lui adressât des consolations, comme s’il avait perdu sa mère ou sa femme. De splendides tombeaux, élevés dans l’église Saint-Paul, reçurent les défunts, tombeaux ornés de statues, détruits plus tard par les ligueurs. Ronsard, Desportes et Amadis Janmyn[1] furent chargés d’exprimer en vers le deuil du roi. Outre le morceau dont nous avons parlé tout à l’heure, Desportes en écrivit trois autres qui offrent tous les caractères d’une galanterie équivoque. Le poëte loue ces jeunes gens comme on louerait des femmes : ce sont les termes, les images que l’on emploie ordinairement pour peindre un amour licite. On attribue à Desportes l’invention ou la naturalisation dans notre langue du mot pudeur ; il faut convenir que ce mot charmant a eu là un singulier patron.

Peu de temps après, le 21 juillet de la même année, Saint-Mégrin, autre mignon du roi, qui avait séduit la duchesse de Guise, ayant été assassiné, par l’ordre du mari, au moment où il quittait le Louvre, le prince désira que son poëte officiel lui rimât une prière pour ces trois victimes bien-aimées. Il la fit écrire dans son livre d’heures, après l’office des morts.

Donne que les esprits de ceux que je souspire,
N’esprouvent point, Seigneur, ta justice et ton ire ;
Fay leur part en ta gloire, ainsi qu’à tes esleus ;
Cancelle leurs péchés et leurs folles jeunesses,
Et reçoy, s’il te plaist, en suivant tes promesses,
En ton sein Maugiron, Saint-Mesgrin et Quelus[2].

  1. Voyez les vingt-quatre sonnets de celui-ci dans le Journal de Henri III, par l’Estoile.
  2. Trois ans auparavant, Desportes avait chanté un autre mignon de Henri III, Louis du Gast, que le duc d’Alençon et Marguerite de Navarre avaient fait assassiner le 31 octobre 1575.