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Et les autres flambeaux, par le ciel reluisans,
Pour le bien radresser ne sont pas suffisans.
En fin la nuict s’envole, et l’aube colorée
Haste le beau soleil à la tresse dorée,
Qui de ses clairs rayons l’univers resjouit,
Et toute autre lumiere aupres s’esvanouit.
Lors il reprend courage et, joyeux, il saluë
Ceste clarté nouvelle à son secours venuë,
Se remet au chemin qu’il avoit delaissé,
Et connoist de combien il s’est desadvancé.
J’en ay fait tout ainsi, j’ay suivy mesme adresse,
Vray pelerin d’Amour, dès ma tendre jeunesse ;
Car mon âge si tost du printans n’approcha,
Que ce dieu contre moy mille traits décocha,
Se fit roy de mon ame, eschauffa mon courage,
Et me mit au chemin de l’amoureux voyage.
Lors, pour servir de guide à mon ardant desir,
La jeunesse me fit une beauté choisir,
Qui s’offrit favorable à mes yeux la premiere,
Et que je reconneu pour ma seule lumiere.
Son ardeur doucement mon esprit embrasoit,
Je ne voyoy plus rien qu’ainsi qu’il luy plaisoit ;
C’estoit mon seul objet, mon desir et ma flame,
Et sa seule influence avoit force en mon ame.
J’ay longuement erré parmy l’obscurité
De mes sens aveuglez, suivant telle clarté ;
J’ay passé maint taillis et maint desert champestre,
Esloigné du chemin sans me pouvoir connoistre ;
En vain mille beautez s’offroient devant mes yeux,
Comme astres qui la nuict vont allumant les cieux ;
Je n’en pouvoy tirer de plus seure conduite,
Et tousjours leur clarté me sembloit trop petite.
Mais, si tost que le jour de vos yeux m’esclaira,
Mon cœur d’aise ravy ce soleil adora,
Et connu tout soudain que la flame allumée
Dedans moy paravant n’estoit rien que fumée ;
De ma premiere erreur je fu tout asseuré,
Et vey que jusqu’icy je m’estois égaré.
Car celuy qui ne suit vostre beauté si rare,
Seul soleil de nos ans, peut dire qu’il s’égare ;
Son desir mal conduit erre sans jugement,
Et ne connoist d’Amour l’agreable tourment.
Il me souvient tousjours qu’en mon ardeur premiere,
Lors que mon ame estoit autre part prisonniere,
Je pensoy fermement qu’on ne sçeut mieux aimer,
Et n’eusse jamais creu qu’Amour put enflamer