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Et, de peur que mon vol vous semblast temeraire,
J’étouffay ma douleur et couvry mon ulcere,
Esperant que le tans me pourroit alleger,
Et mon nouveau desir en quelque autre changer.
Mais plus en ces raisons folement je m’obstine,
Plus le trait amoureux s’enfonce en ma poitrine ;
Je ne puis plus souffrir un feu si devorant,
Qui brûleroit plus fort moins j’iroy soupirant ;
Il faut que je me lasche aux regrets et aux larmes,
Vous monstrant par mes coups le pouvoir de vos armes
Les mortels en leurs maux aux dieux ont leur recours,
De vous semblablement j’attens tout mon secours.
Et davantage encor, je serois à reprendre,
Si par ce feu couvert j’estois reduit en cendre,
Faute d’ouvrir mon cœur de flamme suffoqué.
Car bien que le trespas j’aye assez invoqué,
Comme unique remede à ma playe incurable,
Si me déplairoit-il, vous estant dommageable.
Moy qui ne suis plus moy, que perdroy-je en mourant
Qui puisse estre dit mien par discours apparant ?
Car mon esprit est vostre, et mon ame égarée
Volle autour de vos yeux, de son corps separée.
Je perdroy seulement ma flamme et mes douleurs,
Je perdroy mes desirs, mes soucis et mes pleurs,
Et de tant de pensers la grand’ troupe immortelle ;
Vous perdriez quant à vous un serviteur fidelle,
Que vos yeux seulement ont pouvoir d’animer,
Et qui vous aime tant qu’il ne s’en peut aimer.
Las ! si vous pretendez que j’aye fait offense
D’oser tant entreprendre, écoutez ma deffense !
La faute vient de vous et d’Amour qui m’a fait
Connoistre, en vous voyant, un sujet si parfait.
Vous n’auriez pas raison de vous mettre en colere
Pour une belle erreur, que vous m’avez fait faire ;
Au lieu de m’accuser, accusez vos beaux yeux,
Riches des traits d’Amour, cruels et gracieux ;
Accusez vostre teint qui la neige surpasse,
Accusez vos cheveux et vostre bonne grace,
Et deffendez, madame, à vos jeunes beautez
De n’emprisonner plus nos libres volontez.
Si vous avez desir de n’estre point aimée,
Ne voyez point le jour, demeurez enfermée,
Tenez-vous dans un antre ou dans quelque rocher
Encor vostre valeur ne se pourra cacher.
Tousjours vous paroistrez en beautez la premiere
Car partout le soleil découvre sa lumiere.