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Et, sans penser plus loin, mon ame trop hastive,
Croyant à son desir, se fist vostre captive.
Confessez, s’il vous plaist, ay-je pas quelque droit
De trembler de frayeur ? Helas ! qui ne craindroit ?
Trop de justes raisons malgré-moy me font craindre.
Tant d’attraits ravisseurs ne peuvent-ils contraindre
L’œil volage d’un prince, ou quelqu’un de ces dieux
Qui, pour moindre que vous, descendirent des cieux ?
Et qui sçait (mais je croy que n’estes variable)
Si leur serve grandeur vous seroit agreable ?
Que ne voulut Amour, pour m’oster de soucy,
Graver dessus mon cœur vos pensers, tout ainsi
Comme il y sçeut former le celeste visage ?
Peut-estre qu’en l’esprit je n’aurois plus d’ombrage
Car y reconnoissant que vous daignez m’aimer,
Aucun trait que d’Amour ne pourroit m’entamer.
A l’homme trop avare en aimant je ressemble ;
Il ne peut éloigner son thresor qu’il ne tremble.
Bien qu’il l’ait mis en terre, à toute heure, en tous lieux,
L’idole d’un larron vole devant ses yeux.
Ainsi, mon cher thresor, vous perdant de presence,
La crainte arriere moy bannit toute esperance,
Me caille tout le sang et me fait ravasser,
M’amoncelant sans fin penser dessus penser.
Mais si tost, ô mon cœur ! je ne verray reluire
Le clair feu de vos yeux, trop beaux pour mon martire,
Que l’esperance en moy la maistresse sera,
Et loin de mon esprit la crainte chassera.
Retourne donc, mon bien, retourne et reconforte
Mon esperance, helas ! qui tombe à demy-morte.
Comme quand le bel astre aux saisons commandant,
L’œil et le cœur du ciel, devale en l’occidant,
Maint ombrage[1] s’éleve, et mainte horrible fainte
Saisit les cœurs humains d’une effroyable crainte :
Puis, si tost que l’aurore a le ciel éclaircy,
L’ombre s’évanouyst et la frayeur aussi.
De mesme, ô mon soleil, quand ta jumelle flame
Tourne ailleurs ses rayons, vient la nuict de mon ame !
Mille et mille soucis passent devant mon cœur
Et, fantosmes douteux, le transissent de peur ;
Mais au plaisant retour de ta belle lumiere
Mes yeux recouvreront leur splendeur coustumiere,
Et toutes ces frayeurs, mes esprits martelans,
Se perdront à l’instant comme songes vollans.

  1. Ombre.