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Selon leur mouvement plus ou moins violant,
Tandis qu’on void le ciel d’astres estincelant.
Puis, si tost que le jour a ses portes decloses,
Et que l’aube amoureuse ouvre son sein de roses,
Je me pers dans un bois où, pour mieux me cacher,
Je choisis les recoins d’un antre ou d’un rocher.
Lors, me trouvant tout seul dans ce lieu solitaire,
Je recommence encor mon esbat ordinaire;
Je recommence encor à me déconforter,
Et du tout aux frayeurs je me laisse emporter.
C’est en vain que j’essaye à tromper ma pensée,
En me ressouvenant comme je t’ay laissée,
Quels furent tes propos de sanglots empeschez,
Et comme tes beaux yeux n’estoient jamais sechez.
Au lieu de m’alleger, ce penser me tourmente.
Bref, je ne puis souffrir mon ame impatiente,
Et ne puis d’autre part nul endroit adviser,
Où sans croistre son mal je la puisse poser.
Que sera-ce de moy ? quel espoir me console ?
De m’attendre au retour, c’est une attente fole ;
A mon extremité ce remede est trop lent,
Il vaut mieux me tuer par un coup violent,
Sans que plus desormais l’esperance m’enyvre :
Car je suis aussi las d’esperer que de vivre.


ELEGIE XV


Las ! faut-il que mon mal n’ait jamais d’allegeance
Et que le tans moins fort cede à sa violance ?
Faut-il qu’incessamment tant de soucis divers
Comblent de cris ma bouche et de plaintes mes vers ?
Beauté qui regissez ma vie et ma fortune,
Si mon dueil continu vostre oreille importune,
Ne m’en accusez point, Amour, mon puissant roy,
Ainçois[1] mon fier tyran, fait la faute et non moy ;
C’est luy qui me réveille et qui, dedans mon ame,
Lasche le poignant trait du soucy qui m’entame ;
Car par luy j’ay connu le pouvoir de vos yeux,
Le lys de vostre teint, vos souris gracieux,
L’honneur de vostre sein, vostre port venerable,
Et ce plaisant desdain à la pointe incurable ;
J’ay connu cet esprit, ces vertus, ces discours,
Et mille autres beautez, meres d’autant d’amours.

  1. Ou pour mieux dire.