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Las ! c’est bien un depart que cette rage extrême,
Puis que sa cruauté fait deux parts de moy-mesme ;
Toutesfois en parlant je ne m’emporte pas ;
Ce n’est donc un depart, c’est plustost un trespas,
C’est une lente mort de mille morts suivie,
Comme un hydre fertil renouvelant sa vie,
Un chaos de pensers où l’esprit se confond,
Bref, une mer d’ennuis qui n’a rive ny fond.
C’est grand cas que mon mal ne puisse avoir de trève
Et que, dès le matin, comme l’aube il se lève,
Et me suit jusqu’au soir, quand je veux me coucher.
Et lors, plus que devant, met peine à me fascher :
Le lict m’est une gesne, et la plume ocieuse
Redouble en la pressant ma langueur soucieuse ;
J’en sors, je me promeine, et sans aucun repos
Je fay mille desseins, je tiens mille propos,
Et rien ne dure ferme en ma vague pensée,
Que l’eternel regret de vous avoir laissée.
Et dis, m’en souvenant : O tenebreuse nuit !
O silence ! ô repos ! las ! où suis-je reduit ?
Tout se taist maintenant, toute sorte de beste,
Oubliant son travail, courbe au sommeil la teste,
Les bœufs dedans l’estable, aux forests les oyseaux,
Aux cavernes les ours, les poissons sous les eaux.
Amphytrite est paisible, et les vents qui se taisent
Font que les flots mutins comme endormis s’appaisent ;
Le marinier sans crainte en sa nef est couché,
Le brûlé moissonneur du sommeil est touché,
L’univers se repose, et l’horreur solitaire
Des travaux journaliers est la trève ordinaire ;
Seul, je vis en tourmente au plus calme des nuits,
Et le sommeil commun réveille mes ennuis.
Je fay mille autres plaints, et la lune argentée,
Du son de mes regrets maintes fois transportée,
Cache sa belle face et change de couleur,
Tant elle a de pitié de ma griefve douleur !
Fiché je la contemple et luy narre ma paine,
Accusant tous les feux de la celeste plaine !
Orion, la Pleiade, Helice et le Daufin,
Et tant d’aspects malins qui causent mon destin.
Je passe en ces discours presque la nuit entiere
Que tousjours mon depart me fournit de matiere,
Tant que, n’en pouvant plus, je me rens au sommeil,
Qui me cille à regret les paupieres de l’œil.
Mais ce n’est commencé, que la triste merveille
D’un songe espouvantable en tremblant me resveille ;