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Que les tiens soient punis qui suivent la constance,
Tu me dois reserver le plus cruel tourment,
Car Phœbus ne veit onc un si fidel amant.
Celle qui fut premiere est ma derniere flame ;
Comme je n’ai qu’un cœur je n’aime qu’une dame,
Tousjours à mesme but s’adresse mon penser.
Tel est mon naturel que je ne puis forçer,
Et bien que ma Delon se change d’heure en heure,
C’est la loy des destins que constant je demeure,
Tandis qu’il y aura des poissons sous les eaux,
Des estoilles au ciel, dedans l’air des oyseaux,
Des bestes dans les bois, des hommes sur la terre,
Et tandis qu’aux moutons les loups feront la guerre,
Que l’hyver sera froid et l’esté chaleureux,
Et tant que les beautez auront des amoureux.


ELEGIE XIV


Maistresse, en t’escrivant je ne veux entreprendre
Par un discours plaintif mes douleurs faire entendre,
Ni comme je languy privé de tout espoir,
Veu l’estat où je suis de jamais plus te voir.
Las ! je n’ay point de voix pour un si grief martire !
Le mal n’est pas mortel qui parle et qui respire,
Le mien est infini qu’on ne sçauroit conter ;
Puis de l’endurer seul je me dois contenter,
Sans que, par le recit de mes fascheux allarmes,
J’ouvre au dueil ta poitrine et tes beaux yeux aux larmes,
Et que, pour assouvir de tout point le malheur,
J’adjoigne à tes douleurs ma nouvelle douleur.
Las ! aussi quelle voix tragique et lamentable,
Pourroit representer mon estat miserable,
Depuis le triste jour que ton œil s’eclipsa ?
Vrayment ce fut bien lors que ma nuict commença ;
Mon ame se vit lors aux tristesses plongée,
Ma saison printaniere en hyver fut changée,
Mille et mille soucis me donnerent la loy,
Et, pensant te laisser, je me trouvay sans moy.
Je n’avois à grand peine abandonné ta porte,
Qu’un regret violent hors de moy me transporte,
Que je me lasche au dueil et, tout desesperé,
Je maudy le destin contre moy conjuré ;
Je despite ma vie à souffrir condamnée,
J’outrage la fortune et sa haine obstinée,
J’accuse mon devoir, cause de mon tourment,
Puis je discours ainsi sur mon departement :