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teries. Cette imputation d’un auteur anonyme ne mérite pas une pleine confiance. Mais, s’il est douteux que le poëte facilitât directement les plaisirs du prince, il est positif que même son libertinage contre nature ne lui inspirait ni colère ni dégoût. Ses poëmes ne laissent, à cet égard, aucune incertitude. Nous l’avons déjà vu flatter la coquetterie hermaphrodite du roi très-chrétien. Le duel célèbre, où périrent Quélus et Maugiron, lui donna lieu de manifester publiquement son extrême indulgence pour les goûts ténébreux de son seigneur et maître. L’élégie intitulée : Aventure seconde : Cléophon[1], nous dépeint en phrases poétiques cette lutte sanglante.

Le 26 avril 1578, Quélus, mignon du roi, et le jeune d’Entragues, appartenant à la faction des Guises, ayant eu un léger débat dans la cour du Louvre, prirent rendez-vous pour le lendemain matin. À cinq heures, ils se trouvèrent sur le marché aux chevaux, qui occupait le terrain actuel de la Place-Royale. Quélus était accompagné de Maugiron et de Livarot ; d’Entragues avait amené au combat deux ligueurs, Riberac et Schomberg. Ils en vinrent aux mains avec tant de fureur, que Maugiron et Schomberg restèrent morts sur le champ de bataille ; Riberac traîna jusqu’au lendemain ; Livarot demeura six semaines couché ; l’irascible Quélus, premier auteur du duel, reçut dix-neuf coups ; d’Entragues, le plus heureux, en fut quitte pour une égratignure. On transporta Quélus dans l’hôtel de Boissy, peu distant du lieu fatal. Le malheureux languit trente-trois jours. Le roi ne quittait pas sa chambre ; il aidait à le panser, il le servait de ses propres mains. Écoutons Desportes :

Ce grand roy le console, et, d’un plaisant langage,
Voile de son ennui, lui remet le courage,
Voit de ses coups divers sonder la profondeur,
Et, pour le secourir, met au loin sa grandeur.
.................
Nul divertissement sa douleur ne déçoit ;
Des yeux ni de l’esprit le somme il ne reçoit
(Tant cet ennui le point), donne, promet et prie,
N’estime rien trop cher pour racheter sa vie :
D’autour de son chevet il ne se peut bouger,
Et de sa blanche main il lui donne à manger.


Il avait fait tendre des chaînes dans la grande rue Saint-Antoine, de peur que le bruit des charrettes ne l’importunât et ne lui fût

  1. Dans quelques éditions de Desportes, dans celle de 1587 notamment, on a mis cette aventure la première ; c’est une erreur évidente.