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Helas ! mon Dieu ! comment avez-vous donc pensé,
Qu’à vostre honneur sacré je me sois adressé ?
Honneur si pur et beau, que qui veut en médire
Veut empescher aussi le clair soleil de luire.
Le malheur m’a livré maint assaut dangereux,
Depuis que je suis serf de vos yeux rigoureux.
Sans avoir pu forçer mon courage invincible ;
Mais ce dernier effort s’est monstré si terrible
Et m’a, du premier coup, tellement combattu,
Que mon esprit en est de tout point abattu ;
J’en laisse au desespoir ma vie abandonnée,
Et maudy sans cesser ma fiere destinée.
Mais j’ay ce reconfort qu’il ne peut advenir
Qu’un tel mal ne finisse ou ne fasse finir,
Avant qu’il soit long-tans, ma languissante vie,
Par un rapport menteur à tous maux asservie.


ELEGIE XIII


Beauté si chere aux yeux et si cruelle aux ames,
Je vous ay tant de fois fait paroistre mes flames,
Depuis que je suis vostre et qu’à mon grand malheur
De vos divins regards je tentay la valeur ;
Vous avez tant de fois ma constance esprouvée,
Vostre main de mes pleurs a tant esté lavée,
Que je n’espere pas, en soupirs m’exhalant ;
Temperer la chaleur d’un feu si violant ;
Mais que ma juste plainte, au lieu d’estre entanduë,
Se perdra dedans l’air sourdement respanduë.
Or si veux-je pourtant des destins me douloir
Et de vostre rigueur ; car que peut me chaloir,
M’estant perdu moy-mesme en vostre amitié vaine,
Si je pers ma complainte où j’ay perdu ma paine ?
C’est peu, c’est peu de cas pour me faire cesser,
Je veux sur les soupirs les sanglots amasser,
Et finir en regrets ma languissante vie,
Puis que vostre rigueur n’est encor assouvie,
Et que plus je vous aime, invincible au tourmant,
Plus vostre cœur s’obstine et se fait diamant.
Helas ! si mes douleurs vous touchoient la pensée,
Vous seriez de vous mesme à bon droit offensée !
Il vous faut seulement à part vous discourir
Combien, depuis le jour que je meurs sans mourir,
Vous avez reconnu de feintise aux courages
Et combien d’amoureux se sont trouvez volages,
Tant ceux qui pour la peine ont quitté les plaisirs,