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Car, si je veux conter les angoisses mortelles,
Les diverses fureurs, les peurs continuelles,
Les injustes rigueurs, les courroux vehemens,
Les rapports envieux, les mescontentemens,
Qu’Amour a fait pleuvoir dans mon ame oppressée,
Depuis que je vous fay royne de ma pensée,
Encor que vostre cœur soit plus dur qu’un rocher,
La pitié vous fera maint soupir arracher ;
Et vos yeux, si cruels aux amoureux allarmes,
Espandront par contrainte un grand fleuve de larmes :
Car j’ay veu mille fois, escoutant mes douleurs,
Jusqu’aux plus durs rochers estre bagnez de pleurs.
J’ay souffert tous les maux de l’amoureux empire,
J’en ay plus supporté que je ne sçauroy dire ;
Voire et si j’en prevoy mille autres à venir,
Qui mon ardent desir ne peuvent retenir.
Vous pouvez bien juger, voyant tant de constance,
Que de faire autrement je n’ay pas la puissance.
Si j’ay quelque pouvoir, il s’estend seulement
A vous aimer, madame, et servir constamment ;
Et quand pour mon salut je voudroy le contraire,
Emporté du destin, je ne le pourroy faire ;
Mais je ne le veux pas, ny ne le puis vouloir,
Deussé-je en vous aimant à jamais me douloir.
Puis donc que vous voyez que ma foy continuë,
Puis que mon amitié vous est assez connuë,
Je m’esbahy comment vous m’avez pu penser
Avoir si lasche cœur que de vous offenser ;
Et que j’aye entrepris, plein de jalouse rage,
Blasphemer contre vous d’un medisant langage.
Vrayment vous avez tort, ma ferme volonté
N’avoit en vous servant ce laurier merité :
Je confesseray bien que je vous ay blasmée,
Sentant de mille ennuis ma pauvre ame entamée.
Durant vos cruautez, au fort de ma langueur,
J’ay souvent, sans mentir, blasmé vostre rigueur ;
Je vous nommoy cruelle, inexorable et fiere,
J’accusoy de vos yeux l’homicide lumiere,
J’accusoy vos cheveux dont je suis enlacé,
J’accusoy vos beautez qui m’ont ainsi blessé ;
Mais bien souvent encor, au milieu de ma plainte,
Je demeuroy tout court, palle et tremblant de crainte,
Et reprenoy mon cœur qui de vous se plaignoit,
Quand vostre cruauté plus fort le contraignoit.
Car, bien qu’en vous servant à grand tort il languisse,
Au milieu des tourmens je veux qu’il vous benisse.