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Vous ferez voir en moy, par ce divin effort,
Que vous pouvez donner et la vie et la mort.


ELEGIE XII


Que doit faire un amant comme moy miserable,
Blessé dedans le cœur d’une playe incurable,
Et brûlant peu à peu sans espoir de secours,
Sinon tousjours se plaindre et soupirer tousjours ?
Ainsi comme je fais en vous servant, madame,
Car Je pers mes soupirs où j’ay perdu mon ame,
Et me plains sans cesser du mal que je reçoy,
Depuis qu’estant à vous je ne suis plus à moy.
En hyver, en esté, sans relasche, à toute heure,
Soit de nuict, soit de jour, desesperé, je pleure,
Voyant que mon malheur ne peut-estre évité,
Et me deuls bassement de vostre cruauté :
Mais ce m’est deshonneur qu’en ma peine excessive
Je me plaigne de vous, qui faites que je vive,
Et d’une passion qui me plaist tellement,
Que quand j’en suis privé je souffre doublement.
Car j’ay tant de plaisir, alors que j’imagine
Que toutes mes douleurs ont de vous origine,
Que ce doux souvenir, qu’on ne peut estimer,
Me fait en mes travaux bien heureux reclamer.
Ce seroit donc en vain que j’aurois esperance
D’échapper quelque jour de vostre obeïssance,
Puis que de ma prison vient ma felicité,
Et que j’aime plus fort plus je suis tourmenté.
Helas ! je le sçay bien qu’il ne faut que j’espere
D’échapper de vos fers, quoy que je puisse faire !
Le ciel à vous servir m’a trop predestiné.
Ne n’accusez donc point que je sois obstiné,
Si j’aime ardantement une ame si rebelle ;
Blasmez plustost le ciel qui vous a fait si belle,
Que le seul souvenir de mon hautain penser
Fait que de mes travaux je ne me puis lasser.
Car au plus fort du mal ce penser me conforte,
Que c’est pour vous aimer qu’à tort je le supporte.
Las ! s’il n’estoit ainsi, j’ay si fort enduré,
Depuis que de mon œil le vostre est adoré
Et que dans mon esprit je porte vostre image,
Qu’il y a jà long tans que mon triste courage
(Bien que ferme et constant) ailleurs se fust rangé,
Et que le desespoir mon desir eust changé.