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Ce jour de mon malheur fut la cause premiere.
Je tremble en y pensant, quand vous, belle guerriere,
Tenant un trait en main, et portant dans les yeux
Tous les flambeaux d’Amour, qui consomment les dieux,
Vous choisistes mon cœur pour butte et pour adresse,
Et me dites, riant : Il faut que je vous blesse.
Ce mot n’estoit finy que le trait fut lasché,
Et l’Amour qui le vit, dans vos yeux embusché,
Pour mieux marquer le coup fait d’une main si belle,
Tira cent flesches d’or en ma plays nouvelle ;
Puis il y mit le feu pour plus me tourmenter,
Voulant qu’autre que vous n’eust pouvoir de l’oster.
Las ! cette vive ardeur, qui point ne diminuë,
Me tient impatient en fièvre continuë,
Qui m’esmeut, qui me trouble et qui me fait rêver,
Et ne puis à mon mal aucun secours trouver ;
Car de vous seulement ma guarison procede,
Et je crains vous prier de m’y donner remede.
Au moins s’il ne vous plaist mes langueurs secourir,
Ne refusez, madame, en me voyant mourir
De croire que ma peine a de vous pris naissance,
Et que vous me tuez sans avoir fait offance.
Quand je sçauray pour vray que vous le connoissez,
Je tiendray mes travaux assez recompensez,
Et me resjouyray de voir finir ma vie,
Pour vous donner plaisir et vous rendre servie.
Mais ce m’est un regret plus dur que le trespas,
De voir qu’en me tuant vous ne le croyez pas ;
Ou, si vous le croyez, monstrez de n’en rien croire,
De crainte que ma mort ne tache votre gloire,
Ou de peur qu’à la fin vostre cœur endurcy,
Touché de mes douleurs, ne se rende adoucy.
Vrayment quand vous seriez d’une roche sauvage,
Si vous voyez mon cœur, ainsi que mon visage,
Meurdry, couvert de sang, percé de toutes parts,
Au milieu d’un grand feu qu’alument vos regards,
Reconnoissant dessus vostre figure emprainte,
Vous seriez (j’en suis seur) de soupirer contrainte,
Et, chassant mes douleurs par un doux traitement,
Vous me rendriez, madame, heureux parfaitement.
Lors vous auriez honneur par ceste experience,
Monstrant de vos beautez l’admirable puissance,
Egale aux plus grands dieux, qui ont entre les mains
L’heur, le malheur, la vie et la mort des humains.
Madame, s’il vous plaist de me rendre la vie,
Que vos yeux foudroyans d’un seul coup m’ont ravie,