Voyant en tant de lieux ses champs ensanglantez
Du sang de ses enfans meurtris de tous costez,
Voyant estinceler tant de luisantes armes,
Les deux camps opposez, tant d’assauts, tant d’alarmes,
Voyant mes compagnons mourir devant mes yeux,
Esmaillans de leur sang un tombeau glorieux.
J’attendoy d’heure en heure une mort asseurée,
Et voir de mille coups ma poitrine honorée ;
J’attendoy la prison et les autres hazars,
Ordinaires loyers des serviteurs de Mars ;
Mais le ciel rigoureux me reserva la vie,
Pour estre à mille morts lentement asservie,
Et me garda, cruel, d’une captivité,
Afin qu’apres je fusse à jamais arresté.
Il me retira sauf de la civile flame,
Pour me faire mourir par les yeux d’une dame,
D’un feu qu’on ne voit point en l’air estinceler,
Car, helas ! je le couvre et me laisse brûler !
Je recelle mon mal sous une fainte joye,
Et cache ma blessure afin qu’on ne la voye.
Ce m’eust esté grand’ heur de tomber renversé,
Sanglant, entre les morts, ayant le cœur perçé !
J’eusse avec ce trespas tant de peine évitée,
Et quelqu’un le sçachant eust ma mort regrettée,
Où mourant maintenant personne ne me plaint,
Car nul ne sçait le mal duquel je suis attaint,
Sinon vous homicide et guerriere inhumaine,
Qui vous resjouyssez de m’avoir mis en paine
Vous riez de mes pleurs, de ma mort vous vivez,
Et de mon sang troublé rigueurs abruvez.
Encor si paravant je vous eusse offençée,
Et que vous, à bon droit contre moy courrouçée,
M’eussiez pour chastiment à la mort condamné,
Blessé de mille traits, durement enchaisné,
Parmy tant de douleurs je prendroy patience,
Au lieu de vous blasmer accusant mon offence.
Mais sans avoir failly, contre toute raison,
Pour vous donner plaisir me tenez en prison ;
Et pour voir si vos yeux pourront brûler une ame,
Vous me faites mourir en l’amoureuse flame.
Las ! vous deviez ailleurs vostre force essayer,
Et sur vos serviteurs vos regards n’employer.
Si je duroy mille ans en vostre obeïssance,
Je garderoy tousjours vive la souvenance
Du tans que commença ma mortelle langueur,
Quand, feignant vous jouer, vous blessastes mon cœur.
Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/355
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.