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Bien qu’aux divers combats qui se font en mon cœur,
Le desdain quelquefois de l’amour soit vainqueur ;
Bien que le vray renom que j’ay d’estre fidelle,
Avec grand avantage en d’autres lieux m’appelle,
Voire et que mon esprit, qui se pense outragé,
Consente au changement afin d’estre vangé ;
Helas ! si ne sçauroy-je, il faut que je l’advouë,
Suivre assez constamment le change que je louë !
S’il m’en prend fantasie, aussi soudainement,
Confus et repentant, mon vouloir se dément ;
Je ne vous puis hayr, quand je vous vois si belle,
Je ne vous puis aimer, vous sçachant infidelle ;
Mes sens sont en debat, mon esprit agité
Chancelle constamment d’un et d’autre costé,
Et suis si possedé de ma fureur extrême,
Que je n’ay rien en moy qui s’accorde à moy-même.
Que feray-je à la fin ? que veux-je devenir ?
Je ne puis, malheureux, lâcher ny retenir !
Tout bien considéré, mon plus grand avantage,
C’est que je m’abandonne au vent et à l’orage,
Et, calant aux destins que je ne puis forçer,
Je consente à regret tout bas en mon penser,
Qu’infidelle et parjure, et pis cent fois encore,
Il faut, bon gré mal gré, que mon cœur vous adore.


ELEGIE XI


C’est en vain qu’on essaye à forcer la puissance
Du ciel, qui nous contraint depuis nostre naissance.
Il faut tout laisser faire à la fatalité ;
Car on ne peut changer son terme limité.
Pour courir à clos yeux aux hazards de la guerre,
Chercher toutes les mers, rauder toute la terre,
Ou pour vivre à son aise et se contregarder,
Le destin ne se peut haster ou retarder.
Tel avoit mille fois attendu le naufrage,
L’hyver en pleine mer, qui, joignant le rivage,
Apres s’estre asseuré des frayeurs de la mort,
S’est veu sans y penser submergé dans le port ;
Ainsi que moy chetif, qui fais experience
Que le malheur nous prend lors que moins on y pense ;
Car je me voy surpris et blessé durement,
Alors que j’esperoy vivre plus seurement.
Durant le tans piteux que la France embrasée
Tournoit le fer contre elle en deux pars divisée,