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D’une chose si rare, et n’en fait presque conte,
Mon extrême douleur toute rage surmonte.
Il se rit de ces vers dont j’estoy si jaloux,
Il fait voir des faveurs qu’il jure avoir de vous
Pour memoire et pour gage ; il a vostre peinture,
Il dit qu’avez la sienne ; il sçait vostre nature,
Il connoist vostre cœur et vostre intention,
Et juge que pour luy vous souffrez passion ;
Bref, par tous ses discours il voudroit faire accroire
Qu’il s’est acquis sur vous quelque belle victoire.
Hé Dieu sçait la fureur dont je suis possedé,
Voyant que vostre choix a si mal succedé !
Ores que sans relasche à mon malheur je pense,
Je n’ay contentement qu’à blasmer l’inconstance
Et demeurer tout seul, bastissant à part moy
Mille estranges desseins d’un homme hors de soy
Et dis en soupirant : Chetif, que doy-je faire ?
N’ay-je pas contre moy toute chose contraire ?
A qui croiray-je plus ? tout le monde est sans loy,
Puis que mesme ma dame a violé sa foy.
Quelle estrange rigueur se veit jamais descrite
Par tragiques regrets, qui ne soit plus petite,
Si l’on pense à la gloire où j’estois élevé,
Et par quelle injustice à coup j’en suis privé ?
Malheureux qui dépend d’une dame muable !
S’il est contant un jour, l’autre il est miserable ;
Sa nef vogue incertaine ores bas, ores haut ;
Il a peur, il s’asseure, il est froid, il est chaud,
Et n’a non plus d’arrest en son troublé courage
Qu’il plaist aux mouvemens de la mer où il nage.
Mon esprit sans relasche est ainsi tempesté,
Car le vent qui l’esmeut n’est jamais arresté.
Mais que ne faites-vous, ô beauté sans exemple !
Avec tant de thresors que l’ame en vous contemple
Pour accomplir du tout vostre perfection,
Que vous ayez un cœur qui soit sans fiction,
Que vous gardiez tousjours un vouloir immuable,
Qui plus que les beautez vous feroit admirable
Et reluire icy bas : car sans la loyauté
Il n’est point de vertu qui monstre sa beauté ;
Commne sans la lumiere aux couleurs si duisante,
Tout objet à nos yeux vainement se presante.
Or, bien que vous m’ayez ingratement laissé,
Et qu’un change impreveu fort avant m’ait blessé :
Bien qu’en voyant celuy dont vostre ame est saisie
J’ay plus pitié de vous que de luy jalousie,