Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/352

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Car, helas ! si de vous ne vient ma guarison,
La pourray-je esperer des choses sans raison ?
C’est pourquoy seulement à vous je me retire,
Pour, me plaignant de vous, consoler mon martire,
Si vous le permettez : car de vous offenser
J’endureroy la mort plustost que d’y penser.
Ah ! que j’ay de regret, quand je mets en memoire
Combien j’ay receu d’heur, de plaisir et de gloire,
Depuis l’heure qu’Amour devers vous m’adressa,
Et que son feu divin par vos yeux me blessa ;
Car, presqu’au mesme instant, vous eustes connoissance
Combien pour vous aimer j’enduroy de souffrance ;
Dont vous fustes touchée, et, chassant mon soucy,
Vous me fistes sçavoir que vous m’aimiez aussi.
Alors trop fortune de vous je prenoy vie,
Alors ma flamme estoit de la vostre suivie,
Alors un mesme esprit nos deux corps animoit,
Ainsi qu’un mesme trait nos deux cœurs entamoit.
Helas ! qui me l’eust dit en ce tans desirable,
Que vous aviez, madame, un vouloir si muable,
Que mal je l’eusse creu ! veu qu’ores que j’en suis
Trop clairement certain, croire je ne le puis,
Ni ne le croiray plus, s’il se pouvoit tant faire
Qu’il vous pleust d’un seul mot m’asseurer le contraire.
Mais vous souvient-il plus qu’en nos communs propos
Vous ne me laissiez point un moment de repos,
Jalouse et deffiante, et tout vostre langage
Estoit de m’appeller inconstant et volage ?
Et toutesfois voyez que je n’ay point changé,
Et que depuis trois ans que vos yeux m’ont rangé,
De cent mille beautez l’aimable violance
Ne m’a sçeu destourner de vostre obeyssance ;
Car, quand je m’asseuroy qu’en feriez tout autant,
Je voulois à l’envy vous demeurer constant
Comme je fais encor, tenant à grand loüange
Que vous tant seulement ayez suivy le change.
Au moins si de mon lieu quelqu’un eust herité,
Qui par extrême amour eust ce bien merité,
Ou qui sçeust comme il faut d’une façon discrette
Conduire et pratiquer une amitié secrette ;
Qu’il peust dissimuler ses faveurs sagement,
Feignant une tristesse en son contentement ;
Qu’il pleurast ses douleurs, vous nommast inhumaine,
Ou qu’il dist seulement qu’il a pris quelque paine
Devant que d’estre aimé, j’en seroy moins fasché ;
Mais, alors que je voy qu’il fait si bon marché