Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/351

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et brûlerez de rage, alors qu’on vous dira
Que de ce nouveau bien quelque autre jouyra ;
Car je veux, pour monstrer les forces de mon ire,
Que vous vous efforciez l’une à l’autre de nuire. »
Ainsi crioit Amour, qui son aile estendit,
Puis d’un vol redoublé dans les cieux se perdit ;
Et par nostre malheur sa menace effroyable,
D’âge en âge depuis, apparut veritable.
Vous le sçavez, madame, helas ! vous le sçavez,
Et de sa prophetie experience avez !
Car vous avez esté de la grandeur esprise,
Et vous avez des grands esprouvé la feintise ;
Et, bien que vos beaux yeux, ardans flambeaux d’Amour,
Surmontent la clarté qui nous donne le jour,
Bien que vostre beau teint fasse honte à l’aurore,
Que l’or de vos cheveux l’or mesme decolore,
Qu’un yvoire poly vous finisse la main,
Que des Graces ayez la poitrine et le sein,
Et que tant de vertus, qui vous font admirable,
Eussent pouvoir de rendre immortelle et durable
La plus legere foy, vous avez nonobstant
Senty le changement d’un courage[1] inconstant,
Qui desdaigne le bien d’une amour mutuelle,
Pour suivre aveuglement une beauté nouvelle.
Mais vous devez cesser de vous en tourmanter ;
Encor que vous voyez une autre s’en vanter ;
Car un tout tel destin que le vostre s’appreste,
Pour celle qui si haut fait sonner sa conqueste.


ELEGIE X


Je ne veux point blasmer la nature et les cieux,
L’Amour, la providence, ou quelque autre des dieux ;
Je ne veux, d’une voix qui s’accorde à ma perte,
Faire haut resonner une plaine deserte,
Blasphemant la fortune, et ne veux point tascher
D’amollir par mes pleurs la rigueur d’un rocher,
Bien qu’il me fust loisible en si triste avanture
De dépiter le ciel, l’Amour et la nature ;
Et que je peusse aussi, deplorant mon malheur,
Esmouvoir les rochers et les bois à douleur.
Il faut que de mon mal seule ayez connoissance,
Puis que de m’en guarir seule avez la puissance.

  1. Cœur.