Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/350

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’autre sera prodigue afin qu’on le guerdonne,
Et ne connoistra pas que celuy qui plus donne
En doit avoir le moins, afin qu’en esperant
Pour parvenir au but, on ait le demeurant ;
Bref, je vous feray voir si l’homme est miserable,
Qui vit dessous le joug de la femme muable,
Afin que souffriez ce qu’avez merité,
Pour avoir un grand dieu folement despité.
« Et vous, dames, et vous, qui n’avez tenu conte
De la force d’un dieu qui tous les dieux surmonte,
C’est à vous que j’en veux, pour vous faire sentir
Si de se prendre à moy l’on se doit repentir ;
C’est à vous que j’en veux, qui avez preferée
A la sainte amitié la richesse dorée,
Le vice à la vertu, l’ignorance au sçavoir,
Et l’orde convoitise au fidelle devoir,
Et n’avez estimée estre chose vilaine
Du revenu du lict accroistre son domaine.
Vous ne jouyrez plus du doux contentement,
Qui provient de l’amour qu’on sent également ;
Vous aimerez les grands à cause des richesses,
Et les grands, comme vous, sçauront mille finesses
Pour vous amadouër ; car, en tous leurs discours.
De constance et de foy vous parleront tousjours,
Pour parvenir au but où l’amoureux aspire,
Puis, leur desir finy, ne s’en feront que rire,
Changeront de pensée et vous delaisseront,
Et par mesmes appas autres pourchasseront,
Pour monstrer leur adresse, et pour avoir la gloire
De triompher sur vous d’une pauvre victoire.
« Tout ainsi que l’on voit le chasseur qui poursuit
Ardant, impatient, le lievre qui s’enfuit,
Ores sur la montagne, or’ à travers la plaine,
Et pour bien peu de chose il prend beaucoup de paine,
Car la chasse luy plaist, et le plaisir qu’il prend,
Mille et mille fois plus que ce qu’il en attend.
« Ainsi seront les grands en l’amoureuse chasse,
Qui n’espargneront rien pour gaigner vostre grace,
Soupirs, pleurs, ni sermens, puis, dès qu’ils vous tiendront,
A quelque autre beauté leurs filets ils tendront.
« Vous alors, qui verrez leur foy dissimulée,
Et leur amitié sainte au vent s’en estre allée,
Bien que mon feu divin vostre cœur n’ait espoint,
Et que de vraye amour au dedans n’ayez point,
Vous aurez de despit l’ame toute embrasée,
Voyant vostre beauté si soudain mesprisée,