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rieurs et surtout leur grâce féminine. D’Aubigné peint ces honteux caprices en termes brûlants comme un fer chaud :

Si bien qu’à la royale il vole des enfants,
Pour s’échauffer sur eux à la fleur de leurs ans,
Incitant son amour, autre que naturelle,
Aux uns par la beauté et par la grâce belle,
Autres par l’entregent, autres par la valeur ;
Et la vertu au vice hâte ce lâche cœur.
On a des noms nouveaux et de nouvelles formes
Pour croître et déguiser ces passe-temps énormes[1].

Et le poëte, continuant sa description en termes que nous ne pouvons reproduire, atteste qu’on employait, pour corrompre les jeunes victimes, les promesses, les menaces, les dons et la violence. Imitant même la démence de Néron, le prince épousa plusieurs de ses favoris, entre autres Quélus et le Grand de Bellegarde ; les contrats furent signés de son propre sang et du sang d’O, qui assistait comme témoin. Dans son cabinet, à Paris, plusieurs femmes succombèrent à ses attentats, que d’ignobles circonstances aggravaient encore. Le meurtre d’ailleurs se mêlait au libertinage, le crime assaisonnait la volupté.

En 1577, à Poitiers, dans le château royal, une scène tragique rappela les forfaits des empereurs romains. La dame de Villequier ayant médit du prince en public, ou même, suivant l’Estoile, lui ayant refusé ses faveurs, quoique du reste elle n’en fût point avare, et que son mari, comme tant d’autres à cette époque, ne blamât point ses mœurs licencieuses, sa mort fut résolue entre le digne personnage et son auguste maître. Un jour donc, Villequier entre chez elle, au moment qu’elle sortait de son lit et qu’une de ses caméristes lui tenait le miroir pour l’aider à se friser. Il lui reproche ses excès, l’accuse d’avoir voulu l’empoisonner, de concert avec un amant, puis se jette sur elle, quoiqu’elle fût enceinte, et la poignarde. Quand on examina le corps, on trouva qu’elle était grosse de deux enfants. Nulle poursuite ne fut exercée contre le scélérat : il obtint même son pardon avec une facilité qui rendit évidente la secrète approbation du roi. Peu de temps après, en 1579, Henri le nomma gouverneur de Paris et de l’Île-de-France.

Un manuscrit de la Bibliothéque impériale[2] prétend que Desportes aida le souverain dans une bonne partie de ses galan-

  1. Les Tragiques, par d’Aubigné, p. 102, édition Lalanne.
  2. Anecdotes tirées de la bouche de divers grands personnages et notamment de M. le chancelier du Vair, recueil de Dupuy, volume 661.