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Il logeoit dans leurs cœurs, il échauffoit leurs ames,
Et sous le doux effort de ses poignantes flames,
Chacun, pour s’alleger, sa moitié choisissoit,
Ne cessant leur amour quand ce desir cessoit.
Lors tous vivoient contans ; l’amante estoit sans crainte
Que sous un beau semblant logeast une ame fainte,
Qu’on apprit aux soupirs quand ils devoient sortir,
Et que mesmes les pleurs fussent duits à mentir ;
La bouche estoit du cœur asseuré témoignage,
On ne s’amusoit point à farder son langage,
Ses yeux, sa contenance ; ains, sans dissimuler,
Qui plus avoit d’amour, mieux en sçavoit parler.
La beauté, la douceur, le mérite et l’adresse,
Estoient les seuls efforts pour vaincre une maistresse,
Simple et sans artifice, et qui ne sçavoit pas
User selon les tans de rigueurs ou d’appas,
Façonner un sou-ris, composer ses œillades,
Pour rendre en se jouant les jeunes cœurs malades.
Mais, qui plus est aussi, l’or n’avoit aucun pris ;
Carquans[1], perles, rubis, n’eussent meu les espris
De la moindre bergere, ains l’amitié prisée
Sur toute autre richesse estoit authorisée.
Mais comme peu à peu le vice s’avança,
Et que cette saison en une autre passa,
Et que l’or jaunissant se mit en évidence,
Et que la fermeté fit place à l’inconstance,
Qu’on se sceut déguiser, et qu’on sceut finement
Au poids de la richesse estimer un amant ;
Qu’on peut de cent façons couvrir sa fantaisie,
Et du beau nom d’honneur masquer l’hypocrisie,
Amour tout estonné de voir si-tost changé
Un peuple, qui n’aguere estoit si bien rangé,
Detestant leur malice, ainsi se prit à dire :
« Il faut, il faut, dit-il, qu’ailleurs je me retire ;
Ce peuple est miserable et ne connoist combien
Il a par ma faveur receu d’aise et de bien. »
L’effet fust aussi pront que la voix prononcée ;
Car d’une aile à plein vol par le vague élancée,
Il se perd dans la nuë, où, soustenu de l’air,
Pour dire ces propos il cessa de voler :
« Tu t’en repentiras, race ingrate et chetive,
Et, regrettant trop tard le bien dont tu te prive,
Reconnoistras en bref combien sont differans
Les vrais contentemens des plaisirs apparans.

  1. Colliers.