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Car tyranniquement, vous m’aviez deffendu
D’en faire aucune plainte, et de vous en escrire.
Ainsi j’estoy contraint d’étouffer mon martire,
Et mourir suffoqué sans m’oser deceler,
Ni d’un seul mot d’escrit mes ennuis consoler ;
Seulement vostre image en mon cœur si vivante
Donnoit force à ma vie et la rendoit constante.
Voilà les doux plaisirs qu’Amour m’a fait sentir,
Sans que de ses prisons j’aye voulu sortir.
Encor n’est-ce la fin de ma griéve souffrance !
J’ay sceu que vous doutez de ma perseverance,
Et que ce que j’ay fait pour couvrir mon ardeur,
Passoit en vostre endroit pour change ou pour froideur.
Las ! est-ce le guerdon d’une foy si certaine ?
Faut-il qu’apres l’angoisse et la mort inhumaine
De brûler sans me plaindre, en vous obeïssant,
Je sois plus que jamais à grand tort languissant ?
Et qu’avec le destin vous faciez alliance
Pour forcer tout d’un coup ma vie et ma constance ?
Certes, vous avez tort, et ne sçauroy penser
Qu’Amour, juste vengeur, ne s’en doive offenser.
N’esperez toutesfois, ô chere Parthenie,
Que j’en sois moins fidelle à vostre tyrannie !
Car ainsi comme l’or plus il est refondu,
Rebattu, martelé, plus luisant est rendu,
Tout ainsi ma constance au plus fort des allarmes,
Des ennuis, des rigueurs, des soupirs et des larmes,
Se monstrera plus belle et ne fléchira pas,
Deussé-je en vous servant souffrir mille trespas.
Car je croy qu’en mourant pour une beauté telle,
On s’acquiert, comme en guerre, une gloire immortelle.


ELEGIE IX


En la saison premiere, apres que toutes choses
Furent de leur chaos ordonnément decloses,
Lors que tous blancs de foy les mortels icy bas,
Nouvelle œuvre du ciel, seulement n’avoient pas
Entr’eux le nom de vice, ains guidez d’innoçance
Faisoient bien par nature, et non par connoissance ;
Amour, puissant démon, qui, le premier des dieux,
Avoit franchy le sein du chaos ocieux,
Ayant mis fin par tout au trouble et à la guerre,
Amoureux des humains vint demeurer sur terre.
Bien qu’il fust immortel, il ne les dédaignoit,
Mais de jour et de nuict il les accompagnoit ;