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Combien pour vous aimer j’enduroy de souffrance ;
Et vous, comme deesse encline à la pitié,
Eustes le cœur touché d’un rayon d’amitié,
Me recevant pour vostre, et prenant davantage
Le mien qu’au mesme instant je vous laissay pour gage,
Lequel, pour quelque ennuy qu’il ait peu soustenir,
Devers moy du depuis n’est voulu revenir.
Ah ! qu’en ce tans heureux je sentoy de liesse,
Me voyant favory de si belle princesse,
Dont les yeux, gracieux qui doucement luisoient,
Mille feux amoureux dans mon ame attisoient !
De ses divins propos je prenoy nourriture,
J’admiroy les thresors du ciel et de nature ;
Souvent par mes pensers aux cieux je m’enlevoy,
Et, ravy de moy-mesme, en elle je vivoy.
O tans heureux et doux ! ô saison desirable !
Helas ! que ta faveur me fut lors peu durable !
Que mon printans fut court, et comme en un moment
J’esprouvay le malheur d’un obscur changement !
Tout l’estat de ce monde est un jeu d’inconstance.
Mais encor en amour on voit moins d’asseurance ;
Sa faveur est semblable à un beau jour d’hyver,
Qui se perd aussi-tost qu’on le void arriver.
Veu qu’en ce tans heureux, las ! je ne pouvoy croire
Que le plus grand des dieux peust offenser ma gloire.
Ce fut lors que mon heur en malheur se changea,
Et que mon plus grand bien quand et vous s’estrangea.
Vous fustes mariée ! ô dure souvenance !
Helas ! je meurs encor aussi-tost que j’y panse !
Je sens renouveller mes antiques douleurs,
Et faut que de mes yeux je verse mille pleurs.
Mais ce qui m’affligea d’un regret plus extrême
Fut que je me trouvay sans vous et sans moy-mesme ;
Car ce nouveau mary jaloux vous enleva,
Et mon cœur pour jamais d’allegresse priva ;
Laissant la cour sans grace, ennuyeuse et deserte,
Et tous les beaux esprits qui gemissoient leur perte.
Helas ! combien depuis ay-je esté travaillé !
Combien de fois la nuict, en sursaut éveillé,
Ay-je arrosé de pleurs mon visage et ma couche,
Ayant vostre beau nom à toute heure en la bouche,
Et ne pouvant trouver de plus grand reconfort
Que de crier sans cesse et d’implorer la mort ?
Or durant les assauts de ma dure infortune,
L’ennuy qui me pressoit autant que chose aucune.
C’estoit que mon malheur n’estoit point entendu ;