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Mais, lorsqu’il me falut de la cour separer
Et, pressé du devoir, au camp me retirer,
Où j’estois attendu d’une puissante armée,
Que mon œil pouvoit rendre au combat animée,
Dieu sçait les passions qu’il me falut sentir !
Mais, voyant que l’honneur me forçoit de partir.
Je m’en allay sans cœur, sans esprit et sans vie,
Que je vous delaissay pour en estre servie ;
Et demouray, chetif à part moy languissant,
Le ciel comme ennemy sans repos maudissant,
Accompagné d’Amour, qui tout remply de rage,
Me faisoit sans cesser quelque nouvel outrage :
Dieu sans miserieorde, importun, furieux,
Qui pour me travailler me suivoit en tous lieux,
M’accompagnoit par tout, me livroit mille allarmes,
Et ne doutoit l’effort de dix mille gendarmes,
Ni de tant de soldats que j’avois à l’entour,
Sans me pouvoir garder des embusches d’Amour,
Amour qui n’avoit seul l’entreprise dressée,
Car il estoit suivy d’une troupe amassée
De pensers ennemis qui cruels m’assailloient,
Et de jour et de nuict mon esprit travailloient.
L’un me faisoit songer à ma perte advenuë,
L’autre rendoit ma vie en espoir maintenuë,
L’autre me faisoit peur, l’autre, plus gracieux,
Vos divines beautez offroit devant mes yeux.
Mais, quand j’estoy charmé d’objet si desirable,
Mes maux se faisoient doux, tout m’estoit favorable,
L’aise enyvroit mon ame, et m’estimoy heureux
D’estre idolatrement de vos yeux amoureux,
Souhaitant pour tout bien l’heure tant attenduë
Par qui vostre beauté devoit m’estre renduë,
Et que, sans plus me voir de pensers enchanté,
J’échangeasse à la fin l’ombre à la verité.
Or j’ay si fort contraint le ciel par ma priere,
Que je voy de rechef vostre belle lumiere ;
Je revoy les thresors de vostre poil doré,
Les lys de vostre teint de roses coloré ;
Je revoy le coral de vos levres jumelles,
Qui ouvrent en riant des perles naturelles ;
J’entr’oy ces doux propos qui me retiennent pris,
Qui ravissent mes sens, qui charment mes espris,
Et bref, vous contemplant, bien-heureux, j’imagine
L’entier contentement de la troupe divine.
Je jouys icy bas de la gloire des cieux,
Et d’un homme mortel je suis égal aux dieux