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Aussi, pour dire vray, mon amour j’ay fondée
Sur la perfection d’une si belle idée,
Qu’il semble que le ciel en elle ait tout compris,
Pour ravaler l’estime et l’orgueil de Cypris,
Et qui, sillé d’erreur, ne le voudra pas croire,
Qu’il vienne voir vos yeux, causes de la victoire
Que vous avez sur moy, dont je m’estime heureux,
Bien qu’ils me soient à tort quelquesfois rigoureux :
Yeux où l’enfant Amour tient son celeste empire,
Yeux où le beau soleil tous les soirs se retire,
Yeux, les lampes du jour, aux rayons gracieux,
Qui font honte à la lune et aux astres des cieux,
Qui font en mesme point vivre et mourir ensemble,
Qui font qu’en les voyant l’ame soupire et tremble,
L’œil esperdu s’égare, et tout soudainement
On perd sa liberté sans connoistre comment.
Qu’il vienne voir apres l’or de vos tresses blondes,
Soit quand vous les laissez flotter comme des ondes,
A l’abandon du vent, qui s’empestre dedans
Les filets blonds dorez de vos cheveux pendans ;
Soit quand vous les tenez sur le chef amassées,
Les ayant par devant ordonnément dressées,
Ou qu’avec un bonnet vous nous representez
D’Hylas ou d’Adonis les célestes beautez.
Qu’il vienne voir ce front, large table d’yvoire,
Plaine, claire et polie, où l’Amour à sa gloire
Tient appendus devant les noms et les escus
De tant de chevaliers heureusement vaincus.
Le mien s’y reconnoist le plus haut de la bande,
Et pense avoir acquis une gloire bien grande
D’avoir vaincu celuy qui libre se gardoit,
Et qui sans obeyr à chacun commandoit.
Mais ce m’est grand honneur pour vainqueur reconnoistre
Un dieu des plus grands rois le monarque et le maistre,
Et lequel nonobstant tout seul ne m’eust donté,
S’il n’eust eu pour secours vostre unique beauté,
Beauté vrayment parfaite et tellement extrême,
Qu’elle peut prendre Amour et le vaincre luy-mesme,
Ainsi qu’elle m’a pris, qui ne fey nul effort,
Sçachant que mon pouvoir ne seroit assez fort.
Las ! que depuis ce tans j’ay passé de traverses,
Que j’ay souffert d’ennuis et de peines diverses,
Qui, troublant mon repos, toutefois me plaisoient,
Quand je voyoy vos yeux, deux soleils qui luisoient
Au centre de mon ame, et que, par leur présance
Mon cœur se nourrissoit d’une douce esperance !