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lors le protéger sans se compromettre, Philippe Desportes le recommanda chaudement au souverain. Il n’eut d’abord d’autre fonction que de distraire le prince. Mais, ayant su obtenir ses bonnes grâces, il fut nommé son lecteur officiel, avec douze cents écus de pension.

Un changement s’était opéré dans notre auteur lui-même, depuis qu’il avait trente ans révolus. Au tumulte, aux orages de l’amour succédaient chez lui les préoccupations de la politique et de l’intérêt, ou, pour mieux dire, ces louches visiteuses, qui, reléguées au second plan, n’avaient encore osé sortir de l’ombre, vinrent se poster à sa droite et à sa gauche, comme d’avides et mornes conseillères. Desportes nous a expliqué cette métamorphose, dans un sonnet que nous devons reproduire, comme faisant partie essentielle de sa biographie.

Cette fureur d’amour, de raison la maîtresse,
Aveugle, impatiente et qu’on ne peut cacher,
Veiller, pleurer, jurer, s’apaiser, se fâcher,
Lettres, faveurs, regards, ce sont tours de jeunesse.

J’en ai fait le voyage, et faut que je confesse
Que jamais jeune cœur ne se vit mieux toucher,
Et n’eusse jamais cru qu’on me pût arracher
L’aiguillon qui, dix ans, m’a tourmenté sans cesse.

Mais six lustres si tôt n’ont mon âge borné,
Que du chemin passé je me suis détourné,
Tout honteux que si tard j’aie été variable ;

Et dis, quand de quelqu’une à tort je suis repris :
« Qu’amour à l’homme mûr n’est que perte et mépris,
Au lieu que sa folie au jeune est profitable. »

Mais, si les passions de Desportes se calmaient avant l’âge, celles de Henri III prenaient, au contraire, une odieuse intensité. Avec l’admiration des anciens, leurs révoltantes débauches semblaient avoir pris possession de la cour. Les sieurs d’O et de Villequier présidaient à ces impures saturnales, pourvoyaient le roi de sujets des deux sexes. Eux-mêmes partageaient les goûts infâmes du prince. Pour s’y livrer sans obstacles et sans témoins, Henri III avait acheté une maison de campagne isolée, à Ollainville près d’Arpajon[1]. C’était son parc aux cerfs, où il attirait les jeunes gens que distinguaient leurs avantages exté-

  1. Le monarque y bâtit même un château : il avait acheté la maison soixante mille livres, du trésorier Milon. Voyez l’Estoile, la Confession de Sancy, les Tragiques.