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Afin que cet adveu, dont je veux m’honorer,
Me fasse plus constant les tourmens endurer.
Et je suis asseuré que le tans qui tout brise,
Ne pouvant ébranler ma foy trop bien assise,
Fera de vostre cœur la douceur approcher,
Ou dedans l’estomach vous auriez un rocher
Et le cœur inhumain d’une beste cruelle.
Or, en vous connoissant si divine et si belle,
Je ne le puis penser, veu que la cruauté
S’accompagneroit mal de si rare beauté.
Toutesfois quand du ciel la maligne influance,
Quand la loy du destin qui, depuis ma naissance,
Forte me tyrannise, et quand vostre rigueur
Empescheroient le bien que dessert ma langueur,
Et quand pour le loyer de mon amour extrême,
Et quand pour vous cherir cent fois plus que moy-mesme
Je ne recueilliroy que l’ennuy d’un refus,
Et que de vos beaux yeux je partiroy confus
Pour avec desespoir mettre fin à ma vie :
Si n’auroy-je regret de vous avoir servie,
Car je tiens cet honneur pour un si grand loyer,
Que cent mille trespas ne le sçauroient payer.
Voilà comment, madame, il ne se sçauroit faire,
Que d’adorer vos yeux je me puisse distraire.
Ne m’alleguez donc point que je puis bien penser
Que vous n’avez pouvoir de me recompenser,
A cause de la loy dont vous estes estrainte :
Car en fin cette loy n’est ny juste ny sainte,
Loy qui, comme Mezence, horrible en cruauté,
Joint avec un corps mort si vivante beauté,
Saturne avec Venus, et la gaye jeunesse
Aux chagrins deplaisans d’une froide vieillesse.
Si la loy vous retient, vous n’avez pas raison,
Car l’amour et la loy sont sans comparaison.
Amour est un démon de divine nature ;
Immortels et mortels sentent tous sa pointure,
Elle est sans privilege : or si l’Amour est dieu,
Jamais l’humaine loy contre luy n’aura lieu ;
Car il faut qu’au plus grand tousjours le petit cede,
Et la loy des amours toutes les loix excede.
Et davantage encor la nature est pour moy,
La nature est tousjours plus forte que la loy,
Et quand nature parle et monstre sa puissance,
Adieu toutes les loix et l’humaine deffance.
Quand donc en vos rigueurs ainsi vous persistez ;
Vous pechez contre Amour à qui vous resistez,