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Ne m’accusez donc point si je hante les belles ;
Car, j’en jure vos yeux, je vous adore en elles.
Je ne pense qu’en vous, et leurs traits plus prisez
Me remettent en l’ame ou vos cheveux frisez,
Ou les lis de vos mains, ou quelque autre merveille
De ces fieres beautez qui vous sont sans pareille.
Hé ! n’est-il pas permis ? Est-ce passer en rien
Les saintes loix d’Amour, qui les cœurs connoist bien ?
Nous prenons bien plaisir à voir une peinture,
Et l’azur émaillé de la belle verdure,
Les feuilles des forests, et les vives couleurs
De l’amoureux printans tout couronné de fleurs.
Pourquoy donc, sottement, ferions-nous moins de conte
D’une jeune beauté qui tout printans surmonte,
Qui sçait que c’est Amour, qui peut en discourir,
Qui sçait par un clin d’œil faire vivre et mourir,
Et charmer d’un propos l’aiguillon qui nous blesse.
Quand nous aimons par trop une dure maistresse,
Ainsi que moy chetif, qui ne puis toutesfois
Pour toutes vos rigueurs esprouver d’autres lois ?
Dites-moy seulement si vous avez envie
Que je passe tout seul le reste de ma vie,
Ennuyeux, mal-plaisant, muet, aveugle et sourd.
On me verra sur l’heure abandonner la court ;
Du Louvre et de Paris je perdray la memoire,
Et, possédé sans plus d’une tristesse noire,
Je n’auray dans l’esprit que desseins furieux ;
Rien qu’objets déplaisans ne plairont à mes yeux,
Et m’esloignant du monde, afin de vous complaire,
Je vivray dans un antre, hermite solitaire ;
Et prenant vos rigueurs pour sujet de ma voix,
Je rediray sans cesse aux rochers et aux bois
Que la fortune seule en amour est puissante,
Et qu’il ne sert de rien d’avoir l’ame innoçante.
Mais vous pouvez bien mieux (joint que la cruauté
Accompagneroit mal vostre jeune beauté),
Vous pouvez d’un regard, d’un ris, d’une parole,
Chasser bien loin de moy le soucy qui m’affole,
Ainsi que du soleil les rayons élancez
Escartent çà et là les brouillards amassez
De l’espesse bruine, et comme la lumiere
Espart l’obscurité de la nuict coustumiere.
Je suis hors de frayeur, s’il vous plaist seulement
Ne donner sans m’ouyr un trop pront jugement,
Ainçois que vous mettiez en égale balance
D’une part vos rigueurs et ma longue souffrance,