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Voire et je m’asseuroy que, vous estant si cher,
Un seul trait des jaloux ne pourroit me toucher.
Mais, las ! que ma creance est follement trompée !
De cent mille faux bruits vostre ame est occupée,
Et ce clair jugement, si ferme auparavant,
Douteux et chancellant se tourne au premier vant.
Vous croyez toute chose à mon dam prononçée ;
L’excuse et la deffence est de vous repoussée,
Et, pleine d’injustice autant que de beauté,
Vous me depossedez du bien qu’ay merité.
Merité ? las ! nenny, mais mon amitié forte
Meritoit pour le moins traitement d’autre sorte.
D’autre sorte ? Helas ! non, trop doux m’est le soucy,
S’il vous plaist seulement que je languisse ainsy.
Je sçay qu’on vous a dit que depuis mon absance
Une beauté nouvelle avoit sur moy puissance,
Que j’aime en mille lieux, volagement constant,
Et selon les objets je me change à l’instant.
Las ! si vous le croyez, c’est faute de connoistre
Avec quelles beautez le ciel vous a fait naistre :
Quel est de votre chef l’or prime et delié,
Dont l’Amour de son gré s’est luy mesme lié ;
Les efforts de vos yeux, archers de la sagette
Qui rendit sous vos lois ma liberté sujette ;
Ce que peut vostre belle et délicate main,
Et le laict cailloté qui vous blanchist le sein ;
La vertu du coral de vos levres pourprettes,
Et les soupirs temoins des flammeches secrettes
Qui vous cuisent dedans ; bref, tout ce bel honneur
Dont le ciel en naissant vous fut large donneur.
Car, si parfaitement vous aviez connoissance
De vos charmes divins, et par quelle puissance
Les amours de vos yeux tous cœurs peuvent ranger,
Vous diriez à part vous que je ne puis changer,
Quoy qu’autrefois volage, et que, quand l’inconstance
M’auroit fait jusqu’icy décrier par la France,
Estant de vos beautez si vivement espris,
Sur tous les plus constans j’emporteroy le pris ;
Car, sçachant bien juger d’une beauté si grande,
Impossible est qu’apres quelque autre me commande,
Veu que l’objet luisant de vostre œil radieux
Fait que tout autre jour semble foible à mes yeux,
Et que si chere image emprainte en ma pensée
Rendroit la beauté mesme aupres d’elle effacée.
Voilà quelle est ma vie, et, comme je ne puis
Ny ne veux m’affranchir des prisons où je suis,