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Sors de moy donc, Espoir remply de flaterie,
Pere de Vanité, d’Erreur, de Tromperie,
Nourriciers de nos maux, conçeu d’ardans desirs !
Je ne me fonde plus sur tes frailes plaisirs.
Tu m’as assez pipé, cherche qui te retire,
Et me laisse pleurer sans confort mon martire.
Voilà comment, madame, esloigné de vos yeux,
Sans plaisir, sans repos, malade et furieux,
Je crie et me dépite, accusant votre absanoe,
Et ne veux que l’espoir me promette allegeance ;
Car puis que ce trompeur tâche à me decevoir,
Je ne veux desormais pour tout bien recevoir
Que l’heureux souvenir des liesses passées,
Qui rendent mes douleurs assez recompensées,
Et qui me font constant mes travaux endurer,
Voulant jusqu’à la mort vostre serf demeurer.


ELEGIE IV


Vous qui tenez ma vie en vos yeux prisonniere,
Et qui de mon amour fustes l’ame premiere,
Oyez quelle est ma peine et quelle froide peur
Me remplit de glaçons la poitrine et le cœur ;
Ainsi vostre beauté, qui peut guarir ma playe,
Contre l’effort des ans tousjours demeure gaye.
Dès le soir que je fu prendre congé de vous
Et de vos yeux divins, si cruellement doux,
Pour retourner en France, helas ! dès l’heure mesme,
En vous abandonnant je devins froid et blesme,
Prevoyant le malheur qui devoit m’advenir,
Et ce qu’il me faudroit sans raison soustenir.
Je jugeoy qu’un amour si comblé de liesse
N’estoit pour demeurer tousjours franc de tristesse ;
J’apprehendoy le change, et que le cours du tans
Fist voir qu’il est vainqueur des desseins plus constans;
Je redoutoy l’absence aux amans si contraire ;
Loin des yeux, loin du cœur, c’est la regle ordinaire.
Mais surtout je craignoy la couverte poison
De ceux qui sont jaloux de ma chere prison,
Qui m’en portent envie et qui se font accroire
Que vostre affection m’eleve à quelque gloire.
Toutefois ces frayeurs, qui l’esprit me geloient,
Devant d’autres raisons foiblement s’écouloient ;
Car, vous reconnoissant d’une humeur non commune,
Je deffioy le tans, l’absence et la fortune,