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Car mes sens, qui n’estoient autre part divertis,
Se trouvoient en ma peine eux-mesmes convertis.
Esperant et douteux je ne sçavoy que faire.
J’accusoy la longueur de la nuict solitaire,
Qui, contraire à mon bien, jamais ne s’avançoit ;
De chardons espineux mon lict se herissoit,
Qui me poignoient partout, quand j’y faisoy demeure.
Je m’en jettoy dehors mille fois en une heure
Pour regarder le ciel et si l’aube du jour,
Courriere du soleil, avançoit son retour.
« O trop cruelle Aurore ! ennuieuse, ennemie,
Qui te retient, disoy-je, ainsi tard endormie ?
Te plais-tu maintenant si fort à caresser
Ton vieux mary fascheux, qui ne fait que tousser,
Immobile, impotent, qui foiblement t’embrasse,
Et qui te refroidit de ses membres de glace ?
Tu ne dois si long-tans en paresse couver.
La femme d’un vieillard matin se doit lever.
Mais, las ! j’ay belle peur que tu sois arrestée
De quelque autre plaisir, qui te rend moins hastée ;
Tu reposes, contente, au sein de ton amy,
Et laisses ton vieillard en son lict endormy.
Si ne dois-tu pourtant, amoureuse courriere,
Laisser tout l’univers privé de ta lumiere.
Or sus, leve-toy donc, rens le jour éclaircy ;
Si tu vois tes amours, je n’en suis pas ainsi. »
Tels ou semblables mots d’une voix courroucée
Je disoy toute nuict, furieux de pensée :
Puis le jour se monstroit, jour qu’il falloit passer
Ains que voir la beauté qui me fait trespasser.
Tant plus on se voit pres d’une chose esperée,
Et plus l’affection s’en fait demesurée.
Depuis le point du jour jusqu’au soleil couché,
Je fu plus que devant de pensers empesché.
De plus poignans desirs mon ame estoit attainte,
Mon cœur douteux flotoit entre l’aise et la crainte,
Et n’estimoy jamais que le jour deust finir,
Pour jouyr du bon-heur que j’attendoy venir.
Las ! le jour finit bien, et la nuict nourriciere
Des soucis espineux, esteignit sa lumiere :
La nuict aussi passa, puis le jour ensuivant,
Mais mon espoir trompeur n’enfanta que du vant.
Ce ne fut qu’un faux songe, et sa promesse vaine
Se perdit dedans l’air, se moquant de ma paine.
Je ne veux jamais plus en aimant esperer ;
Car l’espoir ne vaut rien qu’à mes maux empirer.