Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/331

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je m’entretiens ainsi, c’est tout ce que je panse ;
Mais du plaisir perdu triste est la souvenance.
Souvent un vain espoir qui m’abuse tousjours,
Fait semblant en mon mal de me donner secours ;
Il me suit importun, encor que je le chasse,
Et fait tant qu’en mon cœur il gagne quelque place ;
Mais, las ! s’il fait le doux et me vient consoler,
C’est pour croistre ma peine et la renouveler.
N’agueres cet espoir, par sa belle apparance,
M’abusa tellement, que je pris asseurance
De revoir dans trois jours le soleil de mes yeux,
Dont la vive clarté sert de lumiere aux cieux.
Dieu, que j’eu de pensers durant ces trois journées !
Ce n’estoient pas trois jours, c’estoient trois mille années,
Qui remplissoient mon cœur d’attente et de desir,
Et qui le faisoient fondre en l’objet du plaisir.
Durant le premier jour je ne cessoy de dire :
Hé ! si dedans trois jours un plus beau jour doit luire,
O jours qui n’avez point pour mes yeux de clarté !
Hastez-vous de passer, c’est trop tard arresté.
Je verray dans trois jours la beauté que j’adore.
Mais, las ! qu’en sçay-je rien ? Ce feu qui me devore,
Qu’Amour tient en mon cœur jour et nuict allumé,
Peut-estre avant trois jours m’aura tout consumé.
Et puis, pourroy-je bien, esloigné de ma dame,
Vivre trois jours entiers sans esprit et sans ame ?
Non, je mourray devant, et ne faut esperer
Que pour la voir encor je puisse assez durer.
Ainsi ce jour passoit, et la nuict avancée,
Ains que le beau soleil sa course eust commencée,
Je tournoy mon esprit au nombre qui restoit,
Et contre sa longueur mon desir contestoit.
Je ne pouvoy durer d’extrême impatience,
Et tousjours mon ardeur croissoit en violence,
Et disois en pleurant : O jours avancez-vous !
Soyez-moy, s’il vous plaist, plus courtois et plus doux ;
Hastez votre voyage. Et toy, Parque importune,
Puis qu’un si pront destin doit changer ma fortune,
Ne me fay point mourir, arreste un peu ton bras,
Puis, ce terme accomply, fay ce que tu voudras !
Ne me clos point les yeux, ô mort ! je te supplie,
Puis que dedans deux jours je dois revoir ma vie.
Voilà comme ce jour passoit tout lentement,
Faisant place à la nuict au noir accoustrement,
Pleine de visions, ennuyeuse, effroyable,
Qui trop plus que le jour me rendoit miserable ;