Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Puis je m’en repentois, de crainte d’offenser
Ces courtois ennemis qui me font trespasser,
Je veux dire vos yeux, dont la puissance sainte
Fait que l’on tient Amour en honneur et en crainte.
Las ! dès ce triste jour que je languis ainsi,
De chose que ce soit je n’ay plus de soucy ;
Je fuy tous les esbats où je me soulois plaire,
Je me tiens à l’escart pour rêver solitaire
Et pour penser en vous : c’est tout mon reconfort,
Et rien que ces pensers n’ont empesché ma mort ;
Mort que j’avancerois, veu le mal que j’endure,
Mais je crain, me frappant, nuire à vostre figure,
Qu’Amour dedans mon cœur grava si vivement,
Qu’elle ne doubte rien, fors la mort seulement.
Or, je veux donc durer pour la rendre durable,
Et ne veux plus nommer mon estat miserable ;
Mais je diray qu’Amour m’est un Dieu fort benin
D’orner un cœur humain d’un portrait si divin
Et si beau, que luy-mesme, afin qu’il le contemple.
Jamais ne m’abandonne et fait de moy son temple.



ELEGIE III


Plus j’esloigne[1] les yeux qui nourrissent ma flame,
Plus je sens leur effort au plus vif’ de mon ame,
Et connoy desormais que c’est trop vainement
Que je veux m’alleger par un éloignement
Ma fièvre en est plus forte, et l’absence inhumaine
Cause en moy chacun jour quelque nouvelle paine,
Quelque nouveau soucy, quelque nouveau penser,
Et tousjours mes travaux sont à recommencer.
Dieu, que le souvenir est une estrange chose !
Il m’importune tant, que plus je ne repose ;
Il me suit, il me presse, au lever, au coucher,
Partout je le rencontre et ne m’en puis cacher ;
Il rend en le touchant mon ulcere incurable.
Encor, ô souvenir ! tu m’es fort agreable ;
Je t’aime infiniment, car tu me fais revoir
Ce qu’helas ! je desire, et n’espere l’avoir !
Or’ que je suis absent du bel œil qui me tuë,
Cet heureux souvenir le presente à ma veuë ;
Il me fait repenser au bien que j’ay passé,
Je le sens en mon cœur de nouveau ramassé ;

  1. Je fuis.