Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais il n’en fera rien, il connoist trop mon cœur,
Dont vostre seul effort pouvoit estre vainqueur.
Je connoy maintenant que nostre ame divine,
Tenant tousjours du ciel, lieu de son origine,
Presage nos malheurs devant que d’advenir,
Et nous en advertit, afin d’y prevenir ;
Ou que quelque démon, ou quelque autre puissance
Nous fait devant le mal en avoir connoissance.
De mon mal toute chose assez m’avertissoit :
Oyant parler de vous le cœur me fremissoit,
Ma couleur se changeoit, mon ame estoit esmuë :
Bref, je vous redoutois ains que vous avoir veuë,
Comme mon ennemie, et celle qui devoit
Me rendre entre les mains d’un qui me poursuivoit.
Il me souvient tousjours que je mourois d’envie
De voir vos yeux divins, clairs flambeaux de ma vie,
Et de parler à vous ; d’autant qu’on me disoit
Que le ciel vous aimoit et vous favorisoit,
Qu’il se plaisoit en vous, et qu’il vous avoit faite
Pour monstrer icy bas quelque chose parfaite.
Or, bien que de vous voir il me fust mal aisé,
Et que de ce desir mon cœur fust embrasé,
L’heur qui m’accompagnoit fist tant de resistance,
Que pour lors mon vouloir n’eust aucune puissance
Quelque chose en chemin tousjours me retardoit ;
Car lors d’un œil benin le ciel me regardoit.
Il m’avoit pris en charge, et, tuteur debonnaire,
Destournoit loin de moy toute chose contraire.
Mais, depuis quelque tans, à mon dam j’ay connu
Qu’il m’estoit sans ma faute ennemy devenu,
Et que son mouvement, qui fait les destinées,
Avoit changé le cours de mes claires journées.
Plus d’aucun bon aspect je ne suis regardé,
D’un malheureux démon mon discours est guidé,
Qui, troublant ma raison de conseil depourveuë,
A fait bon gré mal gré que je vous aye veuë.
Et vrayment, bien qu’il soit contre moy dépité,
Encor eut-il pitié de ma fatalité ;
Car le jour malheureux que je vous vey si belle,
Jour de mon infortune et de ma mort cruelle,
Il ne fist que pleuvoir, l’air estoit tout noircy
Et se tenoit couvert d’un grand voile obscurcy,
Soit pour ne voir le point de ma perte prochaine.
Ou qu’il portast le dueil de ma mort inhumaine :
Mesme ce jour maudit, comme je m’avançé
Pour sortir du logis, le pié je me blessé :