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ELEGIE II


Que je fus malheureux de me laisser reprendre !
Non, je devois mourir plustost que de me rendre,
La mort m’eust été belle et favorable aussi,
Veu que mesme en vivant je suis mort et transi :
Je suis mort pour le bien et je vy pour la paine,
D’une vie ennuyeuse, importune, inhumaine,
Pleine de desespoirs, longue pour les malheurs,
Et courte pour pleurer mes cruelles douleurs.
Las ! j’ay fermé les yeux pour ne voir ma misere !
Devois-je pas penser que mon seul adversaire,
Mon mortel ennemi justement courroucé,
Amour, que ma revolte avoit tant offençé,
Ne cesseroit jamais qu’il n’en eust pris vengeance,
Et qu’il n’eust chastié ma folle outrecuidance ?
Je le devois penser, mais je ne l’ay pas fait ;
Mon orgueil et mon cœur à ce coup m’ont desfait.
J’estois si temeraire et si plein de jeunesse,
Que j’estimois qu’Amour n’auroit la hardiesse
De se reprendre à moy, moy qu’un juste dédain
Avoit tout fraichement arraché de sa main !
Aussi n’est-ce pas luy, qu’il n’en prenne la gloire.
Jamais plus de mon cœur il n’eust eu la victoire ;
Je l’eusse bien tousjours contre luy deffendu.
C’est à vous seulement que je me suis rendu,
Madame ; helas ! c’est vous qui renchainez mon ame !
Vous rafollez mes sens, vous attisez la flame
Qui brûle mon esprit, tellement allumé,
Qu’il ne sera long-tans sans estre consumé.
Pourquoy donc ce cruel prend-il si grand’ audace ?
Pourquoy me poursuit-il et me donne la chasse ?
Pourquoy fait-il le brave, et se rit de me voir
Encor une autre fois reduit sous son pouvoir ?
Ce n’est par son effort : j’avois perdu la crainte
De voir jamais par luy ma franchise contrainte.
Et si de ces propos il se trouve offençé,
Pour me faire advoüer que je suis insensé,
Qu’il gaigne tant sur vous par force ou par priere,
Que vous laschiez mon ame en vos yeux prisonniere ;
Puis qu’il se mette aux champs garny d’arc et de traits,
Employant les regars plus embellis d’attraits,
Pourveu que je sois seur de vos yeux que j’adore,
Pour voir s’il pourra bien me captiver encore ;