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En fin il se retire honoré justement,
Et sent entre les siens un grand contentement,
Racontant sa prouesse en tant et tant d’allarmes,
Et qu’il a fait essay de toutes sortes d’armes.
J’en pensois faire autant, loin d’Amour retiré,
M’asseurant fermement d’avoir tout enduré,
Et que, quand il voudroit autresfois me reprendre,
D’autres nouveaux tourmens je ne pouvois attendre :
J’avois porté l’ennuy d’aimer sans estre aimé,
J’avois sans recueillir pour un autre semé,
J’avois souffert la mort qu’on sent pour une absance,
J’avois au desespoir long-tans fait resistance,
J’avois senty le mal qui vient d’estre privé
D’un grand contentement, dès qu’il est arrivé ;
Puis j’avois soustenu le regret et la rage
D’aimer plus que mon cœur une dame volage ;
J’avois esté jaloux, insensé, furieux,
Portant la glace au cœur et le feu dans les yeux ;
Et si quelque autre peine en reserve se treuve,
Ainsi qu’il me sembloit, j’en avois fait espreuve.
Mais ce n’estoit qu’une ombre, or’ helas ! je le sens,
Depuis que vos regars, enchanteurs de mes sens,
M’ont embrasé l’esprit d’une flamme nouvelle,
Depuis que vostre main, pour mon malheur trop belle
M’a volé ma raison et m’a percé le cœur
D’un trait envenimé de soucis et de peur.
Las ! on dit que l’Amour oste la connoissance.
Et ce dieu trop cruel pour croistre ma souffrance,
Me rend les yeux plus clairs, afin de voir mon mal,
Et qu’à vostre grandeur je ne suis pas égal.
Je le connois assez, dont je me desespere,
Mais en le connoissant je ne puis le contraire,
Et faut qu’en voyant bien mon malheur preparé,
Les yeux ouverts, je coure au naufrage asseuré.
Madame, en ce seul point vous pouvez bien connoistre
Que de ma liberté je ne suis plus le maistre :
Donc, helas ! si je faux, vous osant adorer,
C’est une loy fatale : Amour me fait errer,
Amour qui me transporte avec tant de puissance
Qu’en voyant que je faux, je soustiens mon offance.
Je dy qu’un jeune amant doit estre audacieux,
Et qu’un esprit divin n’a pour but que les cieux ;
Je dy que ma douleur, qui de vous prend naissance,
De mon loyal service est digne recompanse,
Et que le mal d’Amour, qui me guide au trespas,
Vaut mieux que tous les biens qu’on reçoit icy bas.