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Qui, tendans aux plus hauts, sont cheuz aux plus bas lieux.
Ce n’est pas d’aujourd’hui que tu devois deffendre
À ta jeune fureur d’oser tant entreprendre ;
Long-tans a que la muse et l’Apollon françois
Ont fait naistre icy bas ce qu’encor tu conçois.
Tant de divins esprits dont France est glorieuse
Te devoient bien couper ceste aile ambitieuse ;
Car qui s’attend à mieux qu’à ce qu’ils ont chanté,
Se forme un rien plus beau que la mesme beauté.
Donc adore leurs pas et, content de les suivre,
Fay que ce vin d’orgueil jamais plus ne t’enivre ;
Connoy-toy desormais, ô mon entendement !
Et comme estant humain, espere humainement.
Nos neveux, qui sçauront combien ta dame passe
Les charmes de ces vers avec ceux de sa grace,
Diront en t’excusant : Cestuy-cy fut un jour
Plus fidelle amoureux que bon chantre d’Amour ;
Servant une beauté des beautez la merveille,
Il voulut voir sa gloire à ses graces pareille,
Mais le sort envieux à ses vœux s’opposa ;
Cependant s’il ne put, on void bien qu’il osa.

Bertaud[1].


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  1. Jean Bertaud ou Bertaut, né à Caen, en 1552, se rendit célèbre par ses poésies galantes, qui lui aplanirent le chemin de la fortune et des honneurs. Il devint secrétaire et lecteur du roi, conseiller au parlement de Grenoble, abbé d’Aunay, évêque de Séez, premier aumônier de Marie de Médicis. Henri III fut assassiné en sa présence. Le caractère de ses œuvres changea quand il parvint aux dignités ecclésiastiques. Il admirait et jugeait Ronsard. Madame de Motteville, qui nous a laissé des Mémoires sur Anne d’Autriche, était sa nièce. Il mourut à Séez, dans le mois de juin 1611. Les éditions de ses œuvres publiées en 1620 et 1623 sont les plus complètes.