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Des autres oyselets la brigade emplumée,
Quand quelque rossignol fait redire aux buissons
Les amoureux accens de ses douces chansons.
Qu’un autre te promette une immortelle vie ;
Quant à moy, despoüillé d’esperance et d’envie,
Je prends icy mon luth, et jurant je promets,
Par celuy d’Apollon, de n’en jouër jamais.
Lors que nous disputons le prix d’une carriere,
Et que nos concurrens nous laissent peu derriere,
L’espoir de les passer encor en nous vivant
Nous sert d’un éguillon, qui nous pousse en avant ;
Mais quand, nous devançans d’une trop longue espace,
Ils voisinent le but, nous devenons de glace,
Nostre labeur n’est plus par l’attente adoucy
Et, nous manquant l’espoir, le cœur nous manque aussi.
Que ferois-je aussi bien digne de ma promesse ?
Trahirois-je et cet œil et ce port de deesse,
Et ces autres beautez que reverent les cieux,
Peignant d’un trait commun la merveille des dieux ?
Je suis seur, mon espoir, que pesant ton merite,
Celle de qui la gloire en ces vers est descrite
Ne te surpasse en rien, fors en ce seul bon-beur,
De se voir celebrer par un rare sonneur ;
Ces flatteuses couleurs, donnant à sa peinture
Ce que peut-estre au vif a nié la nature,
En ont fait un miracle à qui rien n’est pareil
Que l’éternelle idée, ou toy, mon beau soleil.
Ainsi, l’un celebrant une feinte Cassandre,
Et l’autre une Francine, ont presque fait descendre
Jupiter de son ciel, pour voir si leurs beautez
S’égalloient aux beaux vers qu’ils en avoient chantez ;
Et toy qui sans flater n’a point d’égalle au monde,
Pour la premiere place aurois-tu la seconde ?
Et le faux éloquent, t’ostant ce qui t’est deu,
Vaincroit-il en mes vers le vray mal deffendu ?
Ah ! taisons-nous plustost que ceste honte advienne,
Contraire à ton attente, aussi bien qu’à la mienne ;
Soyons comme Pompée, ou rien, ou les premiers,
Et, braves, dédaignons les vulgaires lauriers.
Tout beau, mon cœur, tout beau ! d’où te vient ceste audace
De desirer ou rien ou la premiere place ?
Quoy ? ne voudrois-tu point dans le ciel habiter,
Si tu n’esperois estre au ciel un Jupiter !
Tu veux des mains d’Hercule arracher la massuë.
Meurs, ô folle esperance ! avant qu’estre conceuë,
Et ne ressemble point ces escheleurs des cieux,