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Un roy void d’une tour en la voisine plaine
Ses soldats combatans l’ennemy surmonter,
Et l’heur d’un nouveau sceptre à son sceptre adjouster :
Ainsi sans coup ferir ou perdre une sagette,
Tu te verras par eux toute ame estre sujette,
Et tomber à tes pieds tes ennemis deffaits
Par leurs simples conseils plus que par tes effets ;
Tu seras comme Pirrhe, eux ainsi que Cinée,
Cinée à qui la gloire est encores donnée
D’avoir plus fait tomber de couronnes à bas
Par le vent du parler que luy par les combas.
Que tu vis en ton ame heureuse et glorieuse,
Ou si non glorieuse, à tout le moins heureuse,
Toy, quiconque tu sois, memorable beauté
Dont l’immortel honneur en ces vers est chanté
Si c’est quelque plaisir à l’ambitieuse ame
(Telle comme l’on dit qu’est celle de la femme)
De voir voller son nom jusques au firmament,
Nul plaisir ne s’esgale à ton contentement.
Tu vois comme Narcisse, en l’amoureuse paine,
Qui, peinte en ces écrits, te sert d’une fontaine,
Combien tes yeux sont beaux, et lors en t’admirant,
Peut-estre tu t’en vas toy mesme enamourant ;
Puis voyant quels lauriers couronnent la memoire
Qui met entre les dieux ce chantre de ta gloire :
Si tant d’honneur se doit, ce dis-tu dans ton cœur,
Aux soupirs du vaincu, que doit-on au vainqueur ?
Le heraut publiant aux olympiques festes
Ceux de qui le laurier devoit ceindre les testes,
Estoit-il plus vanté pour l’honneur de sa voix,
Qu’eux pour la gloire acquise au milieu des tournois ?
Seule je l’inspiray, quand j’en eus la victoire ;
Cet ouvrage est à moy, j’en merite la gloire,
S’il est vray que la cause est mere de l’effet,
Et celuy qui fait faire égale cil qui fait.
Ainsi dis-tu muette et, coupable en ton ame
Du vif embrasement d’une si belle flame,
Tu te plais de causer ces agreables cris,
Et d’estre le sujet de tant de beaux escris ;
Mais ne te flatte point, ny toy, ny les doigts mesmes
Qui se disent autheurs de ces divins poëmes,
Ne les avez point faits : cet œuvre est plus qu’humain,
Ces traits ne sentent point une mortelle main ;
Amour, pour y conter ses douces amertumes,
Les a luy-mesme escrit de l’une de ses plumes,
Se souvenant du jour que son cœur fut touché