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L’un nous veut estonner par sa langue mauvaise,
Seme des bruits menteurs, nous menace du roy ;
L’autre, ombrageux, s’offense et si ne sçait de quoy ;
L’autre est assez contant, pourveu qu’il nous déplaise.

L’amour gist en l’esprit qu’on ne peut empescher :
Il n’est huis si gardé, muraille ny rocher,
Qui de deux cœurs unis empesche l’entrevuë.

Bien que les corps soient loin, ils peuvent sans cesser
Se voir et consoler de l’ame et du penser :
Le penser aux amans sert de langue et de vuë.


LXXXIX


Jamais d’un si grand coup ame ne fut attainte,
Jamais cœur ne logea desespoirs si cuisans.
Helas ! tourmens d’amour, que vous estes plaisans
Aupres du chaud regret qui fait naistre ma plainte !

Mais quels fers, quels flambeaux, quelle injuste contrainte,
Quels destins conjuré, quelle course des ans,
Quel furieux effort, quels propos médisans
Me pourroient separer de vostre amitié sainte ?

En ce malheur cruel bien-heureux j’eusse esté,
Si de nuire à moy seul il se fust contenté ;
Mais il touche à ma dame, ha ! je meurs quand j’y pense !

Ô venimeux rapports ! ô cœurs malicieux !
Je diray, si bien-tost je n’en voy la vengeance,
Qu’il n’y a dans le ciel ny justice ny dieux.


XC


Qu’on m’arrache le cœur, qu’on me fasse endurer
Le feu, le fer, la rouë et tout autre supplice,
Que l’ire des tyrans dessus moy s’assouvisse,
Je pourray tout souffrir sans gemir ny pleurer ;

Mais qu’on vueille en vivant de moy me separer,
M’oster ma propre forme, et par tant d’injustice
Vouloir que sans mourir de vous je me bannisse,
On ne sçauroit, madame, il ne faut l’esperer.

En despit des jaloux par tout je veux vous suivre !
S’ils machinent ma mort, je suy si las de vivre,
Qu’autre bien desormais n’est de moy souhaité.

Je beniray la main qui sera ma meurtriere,
Et l’heure de ma fin sera l’heure premiere
Que de quelque repos çà bas j’auray gousté.