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Ces jours noirs et troublez, ces languissantes nuits,
Tiendront-ils mon esprit en tristesse eternelle ?

Ne doy-je donc jamais sentir d’allegement ?
Helas ! je n’en sçay rien, je sçay tant seulement
Que j’endure ces maux pour estre trop fidelle.


LXXXVI


Ô sagesse ignorante ! ô malade raison !
Deshonneur glorieux, asseurance incertaine,
Repos plein de travaux, plaisir confit en paine,
Dommageable profit, fidelle trahison !

Souris baigné de pleurs, volontaire prison,
Mer, qui pour nostre mort nourris mainte Serene,
Vent plein de fermeté, fondement sur l’arene,
Hyver qui se déguise en nouvelle saison ;

Esclair dont le rayon fait aux os violence,
Sans que par le dehors il s’en voye apparence ;
Desloyale amitié, serment privé de foy ;

Arc, feux, pieges, filets qu’un aveugle sait tendre,
Bien-heureux est qui peut contre vous se defendre !
Mais qui s’en peut defendre ? Ah Dieu, ce n’est pas moy !


LXXXVII


Si je puis déloger l’ennemy trop couvert,
Qui se campe en mes os et qui s’y fortifie,
Je le dy haut et clair, Venus, je t’en desfie,
Que jamais plus mon cœur aux amours soit ouvert.

La cour, qui m’a tant pleu, ne m’est rien qu’un desert ;
Tout m’est sujet de dueil, me travaille et m’ennüye ;
Mes yeux sont degoutans d’une éternelle pluye,
Qui fait que sans mourir ma jeunesse se perd.

Si seroit-il bien tans de penser à moy-mesme ;
Mon œil devient obscur, j’ay le visage blesme,
Et plus tant de vapeur n’escume en mes espris.

Je ne veux rien d’Amour, fors qu’il me licencie :
Je l’ay suivy dix ans, les plus beaux de ma vie ;
Je le serviroy mal, ayant les cheveux gris.


LXXXVIII


Chacun nous est contraire et s’oppose à nostre aise.
Ceux en qui jusqu’icy j’avois eu plus de foy,
Maintenant sans raison se bandent contre moy,
Et taschent d’amortir nostre amoureuse braise.