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Tu penses rendre encor mon esprit enchanté,
Promettant allegeance à ses peines cruelles.

Mais, pour te croire plus, trop grande est ma douleur :
Pren donc une autre adresse, ou l’ardante chaleur
De mes justes soupirs te brûlera les ailes[1].


LXXXI


Pauvre cœur desolé, qui sans aucune offance
Voy ta plus chere part de toy se separer,
N’en gemy point si fort, cesse d’en murmurer,
Et parmy ces tourmens monstre ta patiance.

Songe au cours de ce monde et à son inconstance,
Qui fait qu’un mesme estat ne se peut asseurer.
Peut-estre apres les maux qu’on te fait endurer,
Le sort te livrera quelque meilleure chance.

Ainsi comme le ciel se tourne la fortune,
Le chaud chasse l’hyver, le soleil la nuit brune,
Apres forage espais le clair tans fait retour.

L’amant, contant n’aguere, or’ est plein de furie,
Et le desesperé s’esjouyst à son tour :
Ainsi dessous le ciel toute chose varie.


LXXXII


Mer, qui quelquesfois calme en ton lict arrestée,
Croissant et décroissant, coule paisiblement ;
Puis, en changeant de face aussi soudainement,
Ne fais voir que furie et colere indontée ;

Tans, qui vas mesurant la carriere hastée
De ce grand ciel, premier pere du mouvement ;
Qui mesles tout le monde et fais le changement,
Sans que de ton pouvoir chose soit exantée ;

Soleil sans fin tournant, qui le jour nous depars,
Puis qui nous fais la nuit, retirant tes regards,
Et causes des saisons le chaud et la froidure ;

Si mon heur peu durable est pront à s’envoler,
Voyant vos changemens, je me dois consoler
Par la commune loy de l’antique nature.


  1. Imité d’un sonnet italien qui commence par cette strophe :

    Speme, che con fallaci e pellegrine
    Amorose lusinghe il cor m’acqueti,
    Quando, per far miei di sereni e lieti,
    Cerco condurre il mio cordoglio a fine.