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LXXVIII


En moy seul la douleur au tans fait resistance,
Et lors que par raison je tâche à la donter,
Ainsi qu’un grand torrent que l’on pense arrester,
Elle rompt la chaussée et croist en violance.

Poignante, aspre, importune et fiere souvenance,
Veux-tu donc nuict et jour mon esprit tourmenter ?
Pour Dieu ! cesse un petit, sans me representer
Un bien dont pour jamais j’ay perdu l’esperance !

Et toy, mon triste cœur, d’infortunes comblé,
Naguere si serain, maintenant si troublé,
Voy comme en tous nos faits l’inconstance se jouë !

Apres l’aise et le bien, les ennuis ont leur tour.
Reconforte toy donc, apprenant que d’Amour,
Non moins que de Fortune, est legere la rouë.


LXXIX


Je ne puy par mes pleurs fléchir vostre courage,
Qu’une erreur bien legere a rendu courrouçé,
Erreur naissant d’Amour, dont je suis si pressé
Que souvent de raison il m’oste tout usage.

Vous me voulez punir comme si j’estoy sage,
Et vous le sçavez bien, j’ay l’esprit offençé ;
Doit-on avoir égard à un homme insensé,
Quand durant sa folie il fait quelque dommage ?

J’estoy en mon accez, la fureur me tenoit,
Et de vous seulement ce transport me venoit :
N’y prenez donc point garde, ô ma belle adversaire !

Sinon, qu’avançez-vous ? je suis si mal traité,
Gesné, brûlé, navré, desolé, tourmenté,
Que plus de nouveau mal vous ne sçauriez me faire.


LXXX


Espoir faux et trompeur, qu’après mainte grand’ perte
De tans et de labeurs à la fin j’ay connu,
Cherche un autre que moy pour te voir bien venu :
Ta fraude en mon endroit est trop fort decouverte.

J’ay presque veu seicher ma saison la plus verte,
Durant que tes appas ont mon cœur détenu,
Et tout le beau loyer qui m’en est revenu,
C’est qu’à mille regrets ma poitrine est ouverte.

Derechef toutesfois, ô pipeur effronté !