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selon toute justice, en obtenir la meilleure part[1]. Ce qu’il y avait de certain, c’est qu’en montant sur le trône il allait, pour ainsi dire, faire asseoir sur les marches son poëte favori. Le gracieux rimeur devint un homme considérable ; sa fortune, qui jusqu’alors avait brillé comme une étoile, mais comme une étoile secondaire, dans le ciel de la cour, resplendit aussitôt parmi les astres de première grandeur. Est-ce alors qu’il refusa la place de secrétaire des commandements ? Je serais tenté de le croire : il se réservait pour des fonctions plus intimes. Comme tous les poëtes d’ailleurs, il fuyait les tâches trop lourdes, les occupations trop assidues[2].

Henri III, ayant perdu beaucoup de temps dans le midi de la France, ne revit pas la princesse de Condé, qui mourut en couches, le 30 octobre 1574. Son amour était parvenu à un point d’exaltation, qui lui donnait l’air d’une tendresse véritable. Il voulait faire casser le mariage de la belle adultère, pour lui offrir la couronne. Sa douleur s’exprima d’une façon étrange : il parut quelques jours en public tout couvert de petites têtes de mort brodées sur ses habits : on en voyait même sur les cordons de ses souliers[3]. Le cardinal de Bourbon l’ayant invité à un festin, dans l’abbaye où reposait le corps de la jeune femme, le prince déclara qu’il lui serait impossible d’y entrer, si on n’éloignait ces témoignages d’un bonheur trop tôt disparu[4].

Le 15 février suivant néanmoins, il épousait Louise de Lorraine, fille du comte de Vaudemont.

Mademoiselle de Châteauneuf le disputa quelque temps à la nouvelle reine. Une fois encore il essaya de la marier ; mais, l’ayant offerte au comte de Brienne, cadet de la maison de Luxembourg, le fier seigneur regarda cette proposition comme un outrage, et, plutôt que de subir une alliance dégradante, il quitta la cour. Les faiblesses du prince continuèrent : mais un jour la favorite osa braver la reine dans un bal ; Catherine de

  1. Magna viæ referens sibi præmia parta suisque,
    Ipse duplex regnum, duplicem sua turba favorem.
    Hos inter primum tibi Musa fidelis honorem
    Jure dedit, sibi quem non æmulus occupet alter.

    Jo. Auratus, poeta regius.
  2. « Raroque hac ambitiosa tempestate spretæ potestatis exemplo, primo amplissimam notarii sacrarum jussionum dignitatem, deinde Burdigalensem Archiepiscopatum recusavit. » Épitaphe de Desportes, par Thibaut son frère.
  3. Henri Martin, t. IX, p. 410 ; — Mathieu, p. 406.
  4. L’Estoile, Journal de Henri III.