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Autre-fois mes travaux tu rendois soulagez,
Et ma jeune fureur sous ton ombre amortie ;
Mais, helas ! ta faveur s’est de moy departie,
Je sens tous tes pavots en espines changez.

Je ne sçay plus que c’est du repos que tu donnes ;
La douleur et l’ennuy de cent pointes felonnes
M’ouvrent l’ame et les yeux, en ruisseaux transformez.

Apporte, ô douce nuict ! un sommeil à ma vie,
Qui de fers si pesans pour jamais la deslie
Et d’un voile éternel mes yeux tienne fermez.


LXXVI


Chere et chaste deesse, honneur de ces bas lieux,
Orient de mon ame, astre de ma pensée,
Pourquoy tant de saisons tenez-vous éclipsée
Sur mon seul horizon la clairté de vos yeux ?

Quel horrible peché me fait hayr des cieux ?
Qu’ay-je fait, qu’ay-je dit pour vous rendre offensée ?
Ah ! s’il m’estoit permis, j’ai l’ame si pressée,
Que je maudirois tout, et deesses et dieux.

Apres m’avoir purgé de toute amour volage,
Apres avoir marqué mon cœur de vostre image,
Comme estant trop à vous, vous l’avez rejetté.

Fut-il onc dans le ciel deïté si cruelle,
Qui peut avoir en haine un cœur n’adorant qu’elle
Et mespriser le temple où son nom est chanté ?


LXXVII


Ô foy ! qui dans mon ame as choisi ta retraitte,
Ne trouvant autre part nul sejour asseuré
En ce siecle infidelle, où le monde égaré
Avec rage et mespris t’offence et te rejette ;

Si durant que le ciel plus rudement me traitte,
Et quand je pers le bien par merite esperé,
Mon esprit de constance est plus fort remparé
Et rend à sa vertu la fortune sujette,

Deesse, en ma faveur, veille soigneusement
À conserver ma flamme ardant incessamment !
Fay qu’elle s’entretienne et ne soit consommée ;

Car, quand le feu d’amour dedans moy s’esteindra,
Ma vie au mesme instant tout à coup defaudra :
Dans ce tison fatal ma Parque est enfermée.