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Et qu’apres mon trespas le plus cruel supplice
Qui soit dans les enfers semble trop doux pour moy.

Las ! je n’aime que vous, ny ne le sçauroy faire :
Soyez donc aussi pronte à guerdonner ma foy,
Comme vostre rigueur fut pronte à me desfaire.


LXXIII


Qu’on ne me prenne pas pour aimer tiedemant,
Pour garder ma raison, pour avoir l’ame saine.
Si, comme une bacchante, Amour ne me pourmaine
Je refuse le titre et l’honneur d’un amant.

Je veux toutes les nuicts soupirer en dormant,
Je veux ne trouver rien si plaisant que ma peine,
N’avoir goutte de sang qui d’amour ne soit pleine,
Et, sans sçavoir pour quoy, me plaindre incessammant.

Mon cœur me desplairoit, s’il n’estoit tout de flame ;
L’aise et le mal d’amour autrement n’ont point d’ame.
Amour est un enfant sans prudence et sans yeux.

Trop d’avis et d’égard sied mal à la jeunesse :
Aux conseillers d’estat je laisse la sagesse,
Pour m’en servir comme eux, lors que je seray vieux.


LXXIV


Le jour malencontreux que mon ame peu sage
Joüa pour un regard l’aise et la liberté,
Je ne me doutoy pas qu’une jeune beauté
Recelast un cœur double, infidelle et volage.

Les serpens venimeux, naiz pour nostre dommage
Au lieu plus chaud d’Afrique et plus inhabité,
Dès le premier abord font voir leur cruauté ;
L’œil et le port des ours est témoin de leur rage ;

Le contraire en vous seule a trahi mon repos,
Car vos gestes si doux, vos yeux et vos propos
Ne respirent que joye et douceur amiable.

Je te puis, ô Nature ! à bon droit accuser :
Tu luy devais donner, pour ne nous abuser,
Ou le cœur plus benin, ou l’œil plus effroyable.


LXXV


Nuict, mere des soucis, cruelle aux affligez,
Qui fait que la douleur plus poignante est sentie,
Pource que l’ame alors n’estant point divertie,
Se donne toute en proie aux pensers enragez.