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Puis en fin je resouls que le ciel tout puissant
Vous a faits ainsi beaux, clairs, fiers et pitoyables,

Non pas que l’âge ingrat merite de vous voir,
Mais afin de monstrer qu’il a bien le pouvoir
De former des soleils plus que l’autre admirables.


LXVII


Vrais soupirs, qui sortez de la flamme cruelle
Dont mon cœur amoureux est ceint de tous costez,
Allez, et de vostre air chaudement évantez
Ce beau sein où la neige en tous tans est nouvelle.

Faites par vostre ardeur que le froid se dégelle,
Qui nuit au doux printans de ses jeunes beautez,
Et puis d’un petit bruit bassement lui contez
Combien de fois le jour je vais mourant pour elle.

Vous luy direz ainsi : Nostre esprit enflamé
Sort du feu de vos yeux dans un cœur allumé ;
Il est vostre, madame, et rien ne peut l’estaindre.

Pourtant recevez-nous. — Lors, entrans peu à peu,
Faites tant qu’à la fin elle brûle en son feu,
Et connoisse à l’essay si j’ay tort de me plaindre[1].


LXVIII


Que d’agreables feux, que de douceurs ameres
Retire en mon esprit vostre œil, mon beau vainqueur !
Cypre, Paphos, Eryce, Amathonte et Cytheres
Ne logent tant d’amours que j’en ay dans le cœur.

Je veux mal aux destins, dont les loix adversaires
M’ont si tard fait sentir vostre aimable rigueur ;
Le tans vescu devant ne m’estoit que langueur,
Et mes plus clairs objets des horreurs solitaires.

À cet heur maintenant bien que tard destiné,
Je me vante entre tous l’amant plus fortuné,
Et pourveu que le sort ne rompe mes liesses,

Gardez pour vous le ciel, sainte troupe des dieux,
Beuvez vostre nectar, caressez vos deesses !
Mortel, je ne seray sur vostre aise envieux.


  1. Imité d’un sonnet italien qui commence par ces vers :

    Itene, ô miei sospir, ch’ accesi in quella
    Fiamma amorosa siete, ù vive il core,
    Di cui non so se in altro amante Amore
    Più degna accese, o più suave, o bella.