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LXIV


Le serain de mes jours commence à se troubler,
Mon esprit delivré retourne à la contrainte,
Et l’amoureuse ardeur, que je pensois estainte,
Reprend nouvelle vie et se veut redoubler.

Pren garde à toy, mon cœur, mets peine à rassembler
Ta raison qui s’égare et fait place à la crainte ;
Tourne ailleurs tes desirs, sans qu’une œillade fainte
De tant de vrays ennuis vienne plus te combler.

Ne te rembarque point sur une mer de larmes,
Meurs plus tost au combat que de rendre les armes,
Et que le seul desdain ait pouvoir dedans toy.

Las ! je le veux assez, j’y consens, je l’approuve,
Je ne sçay quoi pourtant de plus puissant se trouve,
Qui derechef m’enchaisne et me donne la loy.


LXV


Chercher depuis trois jours à vivre en solitude,
Me cachant de tous ceux que j’aimoy paravant ;
Rêver lorsque je parle et soupirer souvant,
Et des livres d’amour faire ma seule estude ;

La nuit, me plaindre au lict que la plume est trop rude,
Accuser le soleil si lent en se levant,
Fonder mille desseins sur le sable mouvant,
Et n’abhorrer plus tant le nom de servitude ;

Repenser cent fois l’heure un semblable penser,
Pour les ombres du faux la vérité chasser,
Me plaindre et ne sçavoir qu’aucun mal je soutienne ;

Trouver comme un nectar mon pleur delicieux,
Et n’avoir qu’un image en l’esprit et aux yeux,
Font signe encore en moy de la flamme ancienne.


LXVI


Beaux yeux, par qui l’Amour entretient sa puissance,
Qui vous juge mortels se va trop abusant.
Si vous estiez mortels, vostre esclair si luisant
Ne me rendroit pas dieu par sa douce influance.

Donc vous estes divins, et tirez vostre essance
De l’éternel Amour, l’univers maitrisant.
Mais d’où vient, s’il est vray, vostre feu si cuisant ?
Car ce qui vient du ciel ne peut faire nuisance.

Voilà comme en l’esprit de vous je vay pensant.