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Sera de tant d’escrits, mes enfans miserables,
Tout en un mesme tans la tombe et le berceau.


LIX


Puissent tousjours durer les ennuis si cuisans,
Dont ma bouche aux regrets sans relache est contrainte,
Puis qu’il semble à mon ame, en cent chaines estrainte,
Que sa rame et ses fers n’en sont pas si pesans.

La nuict est ma lumiere, et mes jours plus luisans,
Ce sont tristes horreurs, pleines d’ombre et de crainte ;
Mon repos gist à faire une éternelle plainte,
Et les lieux de plaisir me sont tous déplaisans.

Ne me laisse donc point, ô dolente pensée !
Renais ainsi qu’une hydre en mourant renforçée,
Et ne souffre mon œil de larmes s’épuiser.

Car d’ennuis et de pleurs sans plus je me contente,
Le soupirer m’est paix : aussi c’est mon attente,
Que l’extrême soupir seul me doit appaiser.


LX


Vers, engeance maudite, ingrate à vostre maistre,
Qui serviez d’affoler mon esprit langoureux,
Et qui par vostre son, plus ou moins douloureux,
Faisiez de mon estat la fortune connoistre ;

Puis que des ceps d’Amour la raison me dépestre,
Et le pouvoir tyran d’un œil trop rigoureux,
Vous serez la victime, ô mes vers malheureux !
Pour offrir au démon, qui libre me fait estre.

Amour, au lieu du cœur qui t’estoit immolé,
Tien, brûle ces papiers ; tu l’as assez brûlé !
Passe icy ton courroux, je t’offre ame pour ame.

Ils sont enfans du cœur, respirans et vivans,
Et ne font qu’estonner tes fidelles servans,
Se plaignant sans cesser des rigueurs de ta flame.


LXI


Puis que tous les malheurs sont pour moy destinez,
Puis qu’avec le desdain ma constance est forçée,
Puis que ma foy se voit d’oubly recompensée,
Et mes yeux pour jamais à pleurer condamnez,

Je te sacre, ô Vulcan ! ces vers infortunez,
Ceste main malheureuse et ceste ame insensée.
Vange-moy de moy-mesme, et ta flamme élançée