Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/301

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Certes l’heur des humains comme un songe s’enfuit.

L’image de ma perte en tous lieux me poursuit,
Et du plaisir passé le souvenir me tuë.
Las ! divine beauté, qu’estes-vous devenuë ?
Je suis par vostre éclipse en tenebres reduit.

Je ne sçay que je fay, je ne sçay que je pense ;
Si fay, je pense en vous, dont l’ennuyeuse absence
Me laisse accompagné de regret et d’esmoy.

Sans cœur, sans mouvement, transi, muet et blesme,
Revenez donc, mon tout, pour me rendre à moy-mesme ;
Car, en vous esloignant, vous m’ostastes à moy.


LVII


DU PREMIER JOUR D’OCTOBRE.


Amour, s’il t’en souvient, c’est la troisième année,
Le jour mesme et le point qu’à toy je fus soumis,
Et que le beau desir d’un bien qui n’est permis
Rendit ma liberté de nouveau r’enchainée.

Helas ! à quels travaux ma vie est condamnée !
Je seme au vent mes cris, sans espoir je gémis,
Mes yeux trop desireux, ce sont mes ennemis,
Ma nef sans gouvernail s’égare abandonnée.

Dieux ! qu’une grand’ beauté de grands maux me causa !
Mon sang se gela tout, mon esprit s’embrasa,
Je perdy la raison, la force et le courage ;

Je devins papillon à ses yeux me brûlant,
Je vescu salemandre en feu si violant,
Et fus cameleon à l’air de son visage.


LVIII


Cesse, ô maudite main ! cesse, esprit insensé !
Trop pronts à mes malheurs, d’inventer et d’écrire,
Puis que l’œil qui me tient esclave à son empire,
De vos labeurs s’offense et se rend courrouçé.

Quand des flammes d’Amour je seray trop pressé,
S’il faut pour n’estouffer qu’en mes vers je soupire,
Plaignons tant seulement l’aigreur de mon martire,
Et taisons de tout point celle qui m’a blessé.

Encor, pour n’irriter cette fiere deesse,
La nuict, seul à mon lict, j’ouvriray ma tristesse,
Escrivant et tirant de mes yeux maint ruisseau ;

Et ce lict, seul témoin de mes maux incurables,